Gary Moore n'est pas du genre à s'enfermer dans la routine. Il avait déjà surpris ses fans en abandonnant brutalement son hard-rock racé pour un gouleyant blues-rock avec l'album "Still Got The Blues" (1990). C'est dans ce style qu'il s'épanouissait depuis, offrant au total trois albums d'une qualité à faire pâlir les spécialistes du genre. Rien ne semblait donc préparer les amateurs à ce nouvel opus sorti en 1997 et intitulé "Dark Days In Paradise". Entouré de musiciens au CV long comme le bras, le chanteur-guitariste irlandais se lance ici dans un déluge d'expérimentations couvrant une multitude de styles musicaux, qui va en déstabiliser plus d'un.
Allant de la pop à l'électro, en passant par un rock parfois psychédélique, parfois orientalisant, cet opus ne laisse que peu de place au blues qui régalait les foules depuis plusieurs années. Tout juste en retrouvons-nous quelques traces au sein d'un 'Cold Wind Blows' sombre et rampant, mais c'est sous une forme électro qu'il nous délivre son riff obsédant. Seules les magnifiques ballades 'I Have Found My Love In You' et 'Like Angels' auraient pu prendre place sur l'un des trois précédents albums. La première se fait urbaine et envoûtante avec une classe rarement atteinte, alors que la seconde étale son ambiance mélancolique et aérienne sur plus de 7 minutes en multipliant les soli lumineux.
Le reste a une fâcheuse (ou réjouissante selon les points de vue) tendance à multiplier les changements de direction après avoir débuté sur les bases d'un rock atypique alternant les couplets calmes au vocodeur et les refrains cinglants sur nappes de cordes ('One Good Reason'). Si la nostalgie semble être le fil directeur de cette œuvre, elle peut se traduire sur des accents orientaux, le temps d'un 'What Are We Here For ?', pop-rock envoûtant et nostalgique malgré la surprise qu'il provoque. Ces accents se retrouvent également sur un 'Afraid Of Tomorrow' un peu trop linéaire et manquant de guitare. L'alternance de belles découvertes et de titres pouvant paraître plus dispensables vient se rajouter à la perte de repères et rend plus difficile l'apprivoisement de l'ensemble. C'est ainsi que la pop légèrement psychédélique de 'One Fine Day' n'apporte pas grand-chose, alors que 'Always There For You' se fait accrocheur avec son approche électro et malgré un refrain simpliste.
Aussi riche que déstabilisant, "Dark Days In Paradise" est l'exemple même de l'œuvre pour laquelle son auteur a privilégié la prise de risques au confort de l'habitude. Cette mise en danger a, la plupart du temps, des conséquences négatives sur les retombées commerciales, mais elle a le mérite de prouver l'honnêteté de l'artiste, tout en permettant aux plus curieux de découvrir de nombreux trésors. Loin du confort des compositions calibrées pour toucher directement au but, ces derniers se méritent et nécessitent souvent plusieurs écoutes, mais la quête en elle-même n'en a que plus de valeur.