Avec "East" (1980), Cold Chisel a obtenu un beau succès commercial, en particulier dans le Pacifique. Pourtant, son côté pop a déplu à Don Walker qui ne souhaite pas continuer dans la même voie. Bien que toujours produit par Mark Opitz, le nouvel album va mettre deux ans pour succéder à "East". Ce délai inhabituel est le résultat des nombreuses sollicitations auxquelles le groupe a eu à répondre en raison de son nouveau statut, mais également à cause de sa tentative de conquête du marché nord-américain, ceci pour un résultat décevant sur lequel nous reviendrons. Enfin, de l'aveu même de Mark Opitz, l'ambiance en studio sera nettement plus festive que pour le précédent opus. Le résultat n'en est pas moins réussi pour autant, bien au contraire.
Avec leur nouvelle offrande, les Australiens refusent d'être considérés comme des animaux de cirque. L'étrange pochette montre le groupe posant autour d'une caravane en plein désert aux abords du Lake Eyre et annonce la couleur, car "Circus Animals" se révèle être un véritable étendard de l'identité de l'homme australien. Chaque titre revendique ce particularisme en dévoilant différents fragments de ce qui caractérise les habitants de l'île-continent en pleine affirmation de leur autonomie par rapport à leurs cousins anglophiles. 'You Got Nothing I Want' ouvre les hostilités en réglant ses comptes avec les Etats-Unis suite au comportement irrespectueux dont le groupe a été victime de la part de son label. Charge contre la mentalité nord-américaine, il se fait coléreux mais mélodique avec son refrain imparable, sa guitare déchirante et son piano épileptique. De son côté, 'Bow River' se révèle un véritable hymne pour la classe ouvrière qui souhaite tout balancer et quitter un modèle de civilisation qui ne lui convient plus, alors que 'Taipan' louvoie tel le redoutable serpent dont il porte le nom, alternant passages calmes et plaintifs et foudroyantes montées en intensité.
Les ambiances sont variées, souvent au sein même de titres, évitant la plupart du temps une trop grande simplicité sans être inabordables pour autant. Les tempi changent parfois subitement mais sans que cela puisse paraitre incohérent, tel ce 'Letter To Alan', hommage à un roadie du groupe décédé dans un accident de camion lors d'une tournée. Le titre commence comme une ballade calme et triste sur un duo chant - piano avant d'accélérer sur une basse ronronnante sur près de six minutes. Les changements de rythmes sont nombreux et les refrains sont remplacés par des soli pour un résultat final lumineux.
Difficile de faire court sur un album multipliant les sommets sans tomber dans une analyse détaillée de chaque titre pouvant se révéler rébarbative. Ceci donnerait au final une image difforme de la réalité, alors que cet album est passionnant de bout en bout. Nous citerons cependant l'hymne 'Wild Colonial Boy', marche affirmant avec fierté l'esprit aussie avec un final flamboyant, ainsi que la ballade 'When The War Is Over' voyant Ian Moss et Jimmy Barnes se partager le chant, le premier sur un début calme et mélancolique, et le second pour un final puissant, mélange de fierté virile et de désespoir.
Avec "Circus Animals", Cold Chisel touche au but d'un rock paroxystique. Varié mais cohérent, dynamique mais émouvant, énergique mais mélodique, accessible sans être simpliste, le tout avec un équilibre touchant au sublime. Ici, le rock australien affirme une identité propre, celle d'une réelle authenticité servie par des musiciens talentueux préférant mettre leur technique au service des chansons plutôt que de se perdre dans des démonstrations stériles. Un album incontournable installant ses auteurs au Panthéon du rock.