Depuis le début de leur carrière, les Texans nous avaient habitués à enchaîner les albums comme des perles. Attendre trois ans pour voir sortir un successeur à "Tejas" avait donc de quoi inquiéter les aficionados. En fait, les trois barbus ont décidé de s'accorder une pause indéterminée après la tournée qui suivit cet opus et qui les laissa vidés de toute énergie créatrice. Et comme chez ZZ Top, on fait les choses sérieusement mais sans se prendre la tête, quoi de mieux que de prendre le temps de se ressourcer ? Pendant ce temps-là, Bill Ham (producteur, manager, mentor) en a profité pour renégocier leur contrat auprès de Warner et pour leur faire travailler leur look, rendant désormais leurs barbes incontournables dans le paysage du rock. Le nouveau venu est intitulé "Degüello" en référence au cri des troupes mexicaines lors de l'assaut du Fort Alamo. Rien à voir avec les conclusions d'une soirée trop arrosée ou avec les conséquences d'un virus s'attaquant au système digestif donc...
Dès les premières notes de 'I Thank You' (cover de Sam & Dave composée par Isaac Hayes et Dave Porter), les ZZ Top dégagent leur légendaire désinvolture et semblent avoir retrouvé fraîcheur et bonne humeur. Bien sûr, leur style est immédiatement reconnaissable avec un Billy Gibbons multipliant les soli gouleyants et les riffs irrésistibles, et avec cette inimitable propension à traiter de sujets profonds tels que les bagnoles ('She Loves My Automobile', 'Manic Mechanic'), les collants féminins ('A Fool For Your Stockings') ou les lunettes Ray Ban bon marché ('Cheap Sunglasses'). Pourtant, les évolutions sont légion mais passent comme une lettre à la poste. Ainsi, une section de cuivres s'invite à la fête ('She Love My Automobile', 'Hi Fi Mama'), composée de trois saxophones tenus par... les trois membres du groupes qui se sont surnommés The Lone Wolf Horns pour l'occasion. Quel meilleur exemple de la mentalité des trois Texans ? Les choses sont bien faites, mais on ne se prend pas au sérieux.
Au rayon des nouveautés, l'incorporation d'éléments soul est sensible sur un 'Cheap Sunglasses' groovy en diable et également enrichi de sonorités électro modernes, ainsi que, bien sûr, sur 'I Thank You'. 'A Fool For Your Stockings' étale son blues urbain le long d'une ballade mid-tempo inondée par le feeling dont Gibbons fait preuve sur chaque solo. 'Esther Be The One' quant à lui, se fait plus popisant, alors que 'Manic Mechanic' pousse les expérimentations plus (trop ?) loin avec sa voix trafiquée et sa structure déconcertante mais finalement pas si désagréable. Les autres titres sont un peu plus convenus, ce qui n'empêche pas 'I'm Bad, I'm Nationwide' d'être aussi accrocheur que nonchalant, alors que 'Lowdown In The Street' embarque son monde avec son groove chaloupé. Enfin, la reprise du 'Dust My Broom' d'Elmore James reste assez respectueuse de l'original.
Derrière son côté cool et léger, "Degüello" s'impose pourtant comme un album charnière dans la carrière de ZZ Top. Les racines toujours bien ancrées dans le blues, les Texans laissent désormais libre cours à leurs velléités d'évolutions tout en distillant ces dernières dans un dosage subtil à la hauteur de leur talent. Rares sont les formations à avoir réussi à garder une identité immédiatement reconnaissable sans se laisser enfermer dans cette dernière. Sans être un album incontournable, "Degüello" n'en est pas moins un exemple évident de la capacité du trio à suivre un chemin se situant juste entre une authenticité incontestable et une ouverture vers de nouvelles opportunités devant les mener vers un statut de groupe culte.