La durée habituelle entre chaque album de Cinderella était jusqu'à maintenant réglée comme du papier à musique. Il fallait deux ans à Tom Kiefer et sa bande pour enchaîner tournée promotionnelle et phases de composition, d'enregistrement et de production. L'attente de quatre années depuis le magnifique "Heartbreak Station" avait donc de quoi inquiéter tous les amateurs du hard-rock si personnel du quatuor philadelphien, surtout lorsque celui-ci s'explique en partie par des problèmes de santé du charismatique leader de la formation, également endeuillé par le décès de sa mère. Lorsque le départ du batteur Fred Coury vient se rajouter à tout cela, c'est carrément l'existence du groupe qui semble remise en question.
Pourtant, le bien nommé "Still Climbing" vient rassurer un public qui s'est malheureusement réduit sous les coups de boutoir du grunge et du néo, styles à la mode en cette fin de XXème siècle. Epaulé par le batteur Kenny Aronoff dont la liste des participations ressemble à une encyclopédie en dix volumes, et par John Purdell (Quiet Riot, Ozzy Osbourne, Foreigner,...) aux claviers, le désormais trio revient vers un hard-rock plus musclé que sur son précédent opus. 'Hot And Bothered', titre enregistré en 1992 pour le cultissime film Wayne's World, aurait pu laisser envisager une orientation plus basique avec son riff AC/DCien direct et efficace. Il n'en est rien, et même si ce morceau apparaît en fin d'album, le reste de l'opus reste du pur Cinderella comme le groupe avait pu nous en proposer à l'époque de "Long Cold Winter". D'ailleurs, l'introduction sur son de vieux vinyle débouchant sur le swing puissant et bluesy de 'Bad Attitude Shuffle' n'est pas sans rappeler l'enchaînement 'Bad Seamstress Blues / Fallin' Apart At The Seams'. 'All Comes Down' ou 'Easy Come, Easy Go' restent également dans une veine classique pour le combo avec ce parfait équilibre entre puissance et accroche, renforcé par quelques cuivres.
Autre affinité avec l'album blanc, les ballades sont encore une fois extrêmement bien réussies. 'Through The Rain' n'est pas sans point commun avec 'Don't Know What You Got' avec son piano et ce délicat mariage entre feeling et intensité, belle démonstration de la finesse de composition de Tom Kiefer. Ce dernier se met même à nu pour rendre hommage à sa mère sur un 'Hard To Find The Words' dont l'émotion ne sombre jamais dans le larmoyant. Enfin, 'The Road's Still Long' se fait émouvante avec une montée en intensité toute en maîtrise. Mais si le blanc l'emportait sur "Long Cold Winter", le gris semble dominer sur "Still Climbing" avec des thèmes plus sombres et l'utilisation de riffs en boucle obsédants débouchant sur des refrains cinglants ('Talk Is Cheap') ou accrocheurs ('Blood From A Stone'), alors que le titre éponyme monte en puissance après une introduction au son de roulements de tambours. Enfin, 'Freewheelin' ´voit Cinderella appuyer sur l'accélérateur comme jamais auparavant pour un résultat nerveux et rentre-dedans.
Sorti à la mauvaise époque, "Still Climbing" n'a pas rencontré le succès qu'il aurait mérité. Il n'est cependant pas trop tard pour lui rendre un hommage à la hauteur de ses qualités et du talent de ses compositeurs et interprètes. Revenant vers des terres plus hard-rock, il n'en occulte pas pour autant quelques éléments développés sur "Heartbreak Station". Un peu moins varié, il n'est cependant pas linéaire, mené de main de maître par un Tom Kiefer dont le chant progresse encore en étant plus modulé. Dernier témoignage studio du groupe, il ne semble pas destiné à avoir de successeur, ce qui est particulièrement regrettable après une telle démonstration alliant émotion et énergie pour un résultat à l'identité forte.