Signe d'une époque désormais dirigée par une société 2.0, Corvus Stone est un groupe international (finlandais, anglais, américain), dont les membres se sont rencontrés via les réseaux sociaux. Non sans humour, ce dernier étant une marque de fabrique du combo, ils présentent leur rencontre comme "un accident qui devait arriver" ! Peu de chances en tout cas de voir un jour le groupe évoluer en live, tout le travail de composition et d'enregistrement s'effectuant à distance. Ceci n'empêche pas l'entité de fonctionner, pour preuve ce deuxième (très long) album, paru en 2014, deux années à peine après un premier opus déjà bien copieux.
Catégoriser en quelques mots la musique de Corvus Stone relève de la mission presque impossible, le groupe affirmant lui-même ne vouloir ressembler à rien d'autre, tout en ne cherchant pas à éviter les comparaisons. Et pour appuyer encore un peu plus leur définition de la musique progressive (voir pour cela leur biographie), ils prétendent qu'ils n'essaieront jamais de faire ce que les chroniqueurs attendent d'eux.
La première écoute de ce deuxième album va très rapidement venir confirmer tous leurs dires. Après deux premiers titres aux atours symphoniques et sonorités de guitares oldfieldiennes, 'Boots for Hire' va nous plonger dans une ambiance rappelant le début des années 70, avec un mélange de Led Zeppelin, des Doors et de Deep Purple.
Le hard-rock bluesy de ce dernier groupe se pose d'ailleurs en véritable repère dans la musique de Corvus Stone, au point de carrément lui dédier un titre, 'Purple Stone', où l'amateur éclairé retrouvera de nombreux gimmicks connus, et notamment un extrait de 'Highway Star'. Mais loin de se cantonner à une simple utilisation de ce style, le groupe mélange les genres, piochant çà et là dans toutes les facettes du progressif : guitare vintage sur fond de claviers néo-progressif, utilisation intensive de l'orgue Hammond façon Jon Lord, changements de thèmes à foison, passages de jazz ou incursion dans le RIO, rien n'arrête l'imagination débridée du quintet, au risque parfois de dérouter l'auditeur peu vigilant. Pour les autres, le bonheur viendra d'écoutes répétées, chacune d'entre elles apportant son lot de surprises, et permettant par exemple de déguster des percussions sud-américaines ('Mr Cha Cha', 'Scandinavians in Mexico') ou de s'imprégner de textes en latin ('Camelus Bactrianus'), ce dernier titre passant sans vergogne d'un récitatif planant à une sarabande 70's évoquant La Maschera di Cera.
Majoritairement instrumentale, la musique proposée durant ces 80 minutes convie tout de même quelques intervenants extérieurs au chant, avec en tête de gondole un certain Sean Filkins. La production parfois aléatoire ne rend malheureusement pas toujours hommage à leurs qualités, d'autant que le contraste avec les sections instrumentales s'avère parfois flagrant : peut-être une limite de la réalisation totalement à distance ?
Néanmoins, ces petits désagréments n'entament en rien la qualité de l'œuvre, ponctuée par un magnum opus de 14 minutes ('Moaning Lisa') jouant là encore sur les extrêmes, avec une bonne part de musique inspirée par la Renaissance, associée à un hard-rock progressif d'excellente facture.
Pour terminer le tout, 'Campfire' pose un dernier clin d'œil sur l'ensemble, résumant de par son titre et son contenu le total esprit de liberté souhaité par Corvus Stone loin du musicalement ou progressivement correct.
Pour ceux qui se plongeront dans l'écoute de ce deuxième album de Corvus Stone, il faudra passer outre l'impression de contenu un peu foutraque qui pourra découler d'une première écoute peu attentive, pour ensuite déguster avec bonheur le caractère imprévisible de cette musique se jouant des modes et de l'époque. Et si ces gars-là avaient retrouvé l'esprit originel du vocable rock progressif ?
Pour terminer, il faut également rendre hommage à l'humour du groupe (quels titres !), magnifié par un superbe artwork réalisé par Sonia Mota (quelle belle réinterprétation de Mona Lisa !).