Depuis l'éviction du bassiste Alec Jon Such en 1994, la vie au sein du line-up de Bon Jovi était un exemple de stabilité et d'ambiance sereine. C'est en 2013 que ce bel équilibre a commencé à se fissurer. Pour des raisons personnelles (il semblerait en fait que le guitariste ait dû faire une cure de désintoxication à l'alcool), Ritchie Sambora quitta le groupe au mois d'Avril, remplacé sur la tournée qui suivit par Phil X (Triumph, Powder, The Drills), ceci pour une durée indéterminée. Après que Jon Bon Jovi et le guitariste eurent démenti l'exclusion de ce dernier, son départ fut finalement acté en novembre 2014, à l'amiable et en laissant la porte ouverte à un éventuel retour dans un futur non défini. Voici donc que sort ce "Burning Bridges" en 2015, dans une ambiance un peu plus alourdie par le conflit opposant le leader de la légende de New Jersey à son label l'accompagnant depuis 32 ans. En effet, mécontent du nouveau contrat proposé par Mercury, Jon Bon Jovi a décidé d'aller voir ailleurs s'il bénéficierait d'une reconnaissance contractuelle plus en rapport avec ses prétentions et sa biographie.
Dernier album chez Mercury, et premier sans son guitariste co-fondateur, "Burning Bridges" est présenté comme un cadeau fait au fan pour l'aider à patienter jusqu'au prochain opus officiel prévu pour 2016. Il est essentiellement composé de titres écrits à l'occasion de précédents albums mais jamais enregistrés. Mais il est également l'occasion de tester les premières compositions réalisées sans Ritchie Sambora. La production est à nouveau confiée à John Shanks qui assure également les guitares et coécrit le premier single 'We Don't Run', rock dynamique au refrain catchy et fédérateur doté d'un joli solo en shred. 'Saturday Night Gave Me Sunday Morning', écrit avec Sambora durant les sessions de "The Circle" (2009), représente tout l'art de Bon Jovi à composer des titres imparables au refrain hyper accrocheur et fait office de second single. Avec 'I'm Your Man', morceau le plus énergique et paradoxalement le plus dispensable de l'album, ces titres se révèlent les seuls moments s'échappant d'un ensemble dédié à la douceur et à la mélancolie.
Dans ce domaine également, Bon Jovi possède une marque de fabrique et un talent qui lui permettent en général d'éviter l'écueil de la mièvrerie. Ici, l'approche peut se faire lancinante et sombre, enrichie d'un chant torturé, de claviers aériens et de chœurs mélancoliques ('A Tear To The Sea'), mais également d'une grande délicatesse avec un simple duo chant – piano à peine renforcé de quelques nappes de claviers aériens pour une émotion à fleur de peau ('Blind Love'), ou encore un brin naïve en s'appuyant sur quelques légers arpèges de guitares avant de s'éteindre doucement sur un solo poignant s'étirant sur le final ('Fingerprints'). Enfin, si la mélancolie est un sentiment récurrent, la rancœur n'hésite pas à faire surface à l'occasion d'un titre éponyme réglant ses comptes avec Mercury dans une festive ambiance country-folk.
Océan de douceur à peine secoué par quelques rafales plus énergiques, "Burning Bridges" remplit son rôle visant à faire patienter les fans dans l'attente du prochain opus officiel. Sans être indispensable, cet album n'en contient pas moins quelques belles pièces délicatement taillées avec un savoir-faire qui est désormais une marque de fabrique incontournable. Si elle ne se fait pas encore trop ressentir, l'absence de Ritchie Sambora va représenter un défi non négligeable et le résultat est attendu avec angoisse et impatience.