Dans la famille des légendes du blues, je voudrais le miraculé ! Début 2014, Walter Trout semblait destiné à rejoindre la longue liste des grands de ce style nous ayant quitté. Victime de graves troubles hépatiques, il devait subir une greffe du foie, et aux Etats-Unis, il est indispensable d'avoir l'argent nécessaire pour accéder à cette opération, sans compter le temps de trouver un donneur compatible. Mais grâce au soutien indéfectible de son épouse et manager, ainsi qu'aux nombreux dons réalisés par ses fans, l'ancien comparse de John Mayall a cependant fini par être opéré avec succès. Le voilà donc de retour avec un nouvel opus dont le titre ne laisse aucune place au doute quant à son thème récurrent, "Battle Scars" pouvant être traduit comme les cicatrices d'une bataille, bataille dont il est heureusement sorti vainqueur pour notre plus grand bonheur.
'Now I get the feeling, something's going wrong. Can't help but a feeling, I won't last too long'. Les paroles introduisant 'Almost Gone' ont le mérite de confirmer clairement le sujet. Walter Trout, sur les judicieux conseils de sa moitié, va nous conter les différentes étapes qu'il a dû traverser pour triompher de cette épreuve. Et s'il est vrai que le blues est probablement l'un des meilleurs styles musicaux pour permettre de traduire les émotions qui découlent de tels tourments, encore faut-il avoir le talent et la dignité pour ne pas sombrer dans la jérémiade et la lamentation sur son propre sort. Dans le cas présent, Walter Trout réussit une véritable démonstration au travers de paroles superbes de retenue mais suffisamment explicites pour rester claires, alors que la musique se fait le parfait écrin à chaque sentiment traduit, en particulier lors de soli gorgés d'un feeling qui saisira aussi bien l'âme qu'il satisfera l'oreille musicale.
Afin de ne pas sombrer dans une trop grande linéarité, l'évolution des sentiments n'est pas forcement traitée dans un ordre chronologique mais ceci n'enlève rien à la puissance du récit. L'angoisse et le voisinage de la mort dans le couloir d'un hôpital glacent un 'Omaha' sombre et torturé, alors que l'anxiété se fait insidieuse sur un 'Haunted By The Night' empli de désarroi. Et que dire de 'My Ship Came In' alliant énergie et fatalisme pour raconter de manière presque désabusée l'annulation de l'année Walter Trout prévue par le label pour célébrer les 25 ans de sa carrière solo ? Plutôt que geindre, l'artiste se fait dynamique, dégainant un harmonica incandescent aux côtés de soli de guitare qui ne le sont pas moins, en particulier sur l'irrésistible accélération finale. Les sentiments plus positifs sont également traités avec la même finesse et un talent équivalent, que cela soit l'impatience de 'Tomorrow Seems So Far Away', l'apaisement d'un 'Please Take Me Home' délicat et épuisé, ou les remerciements et la rédemption d'un 'Gonna Live Again' dont l'interprétation acoustique exprime au mieux la fragilité et le soulagement.
A la fois témoignage et exutoire, "Battle Scars" se révèle une œuvre d'une immense richesse artistique et humaine. Walter Trout se fait simultanément conteur, témoin et survivant, au travers d'une interprétation alliant technique et délicatesse, puissance des sentiments et respect d'une certaine pudeur. Véritable miraculé, l'artiste donne en retour de tout ce qu'il a reçu pendant son calvaire et il n'est pas avare d'un talent et d'une énergie parfaitement maîtrisés pour un résultat qui ne peut laisser indifférent.