Les pieds ballottant dans le vide, le casque vissé sur les oreilles, je déguste les premières ondulations sensuelles de Intronaut, chamboulé par ces vibrations à la pureté primaire virginale. Ce nouvel Intronaut, cette musique surréaliste baignée de technicité, c'est comme un Noël avant l'heure, avec ses guitares cycliques et sa rage sourde portée par des riffs épais et complexes dignes de Textures.
En premier lieu, on est subjugué par la pochette magnifique, colorée et mystérieuse. Cette nuée d'oiseaux qui tourbillonne dans ce ciel est un résumé de la musique gravée sur plastique : une plongée abyssale dans un maelström bouillonnant, des couleurs sonores qui percutent les oreilles, qui éclatent les carcans, une pointe de noirceur dépeinte comme cette nuée de volatiles. "The Direction Of Fast Things" est l'ultime sentence d'une formation qui veut affirmer avoir trouvé son identité. Néanmoins cette identité est schizophrène, car la musique passe par les contrées modernes du post rock hallucinatoire, celles du shoegaze hypnotique ponctué de boucles d'arpèges, par des sonorités à la lisière du djent bâties sur des rythmiques impaires fluides.
Ainsi, les guitares sont précises, précieuses et âpres, la mélodie est constante, la voix tour à tour enjôleuse ou criarde, la batterie complexe, imposant un groove répétitif étonnant. On a l'impression de naviguer sur une mer tranquille, d'être bercé par les bras d'une mère attendrie, d'arpenter des paysages paisibles : la musique est subtile, d'une finesse longtemps réclamée par d'autres camarades musicaux.
Le voyage dans l'espace intersidéral commence sur une note puissante ('Fast Worms'). Le combo débute par quelques mesures suspendues, comme un avant-goût de l'ambiance qu'il veut imposer, puis un riff nerveux arrive sans prévenir. La voix colle à merveille à cette violence grondante, non seulement par des éructations grasses, mais aussi par un chant clair qui exprime beaucoup d'émotion ; les guitares tissent une toile gluante dans laquelle les mélodies se croisent et se décroisent. On a dès lors le sentiment que la moindre intervention est indispensable au discours musical, jamais de digression ou d'habillage suffisant et prétentieux, tout est ainsi au service de la composition... Le rythme se fait ensuite plus pesant ('Digital Gerrymandering'), ces passages très metal apportent une vrai puissance et une moiteur, qui se termine en apothéose sur une mélodie belle à pleurer. Par ailleurs, les compositions se renouvèlent à chaque seconde, déployant des tiroirs qui eux-mêmes s'ouvrent sur d'autres tiroirs, de la violence ('The Unlikely Event of a Water Landing'), ou encore des sonorités presque prog dignes de Dream Theater ou de Between The Buried and Me.
Les pistes de "The Direction of Last Things" sont prenantes, inespérées et bluffantes grâce à toutes les variations qu'elles renferment. Cet art de la composition est magnifié par l'imbrication systématique d'instants de grande beauté et de moments de rage pure. Intronaut élève son art musical au rang de chef-d'œuvre, comme si un esprit divin avait soufflé sur cet opus tant les pistes, mesures, mélodies ou instruments s'emboîtent naturellement. "The Direction of Last Things" est ni plus ni moins un des meilleurs albums de l'année, ou tout simplement une galette que l'on pourrait écouter et écouter à nouveau jusqu'à plus soif.