Lorsque David Jones pour l'état civil, Bowie pour la scène, sort son premier album, le jeune Britannique a vingt ans mais déjà cinq années d'expériences et de galères au sein de plusieurs groupes qu'il a fréquentés épisodiquement avant de les abandonner dès qu'il sent que le succès ne sera pas au rendez-vous. Car dès son plus jeune âge, l'ambitieux David Bowie a soif de reconnaissance.
A force de ténacité (il n'y a pas à l'époque de télé-réalité permettant d'accéder aussi rapidement à la célébrité que de retomber dans l'anonymat), il finit par convaincre le directeur de Deram de lui accorder sa chance. L'album, sobrement intitulé "David Bowie", sort le même jour que "Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band" … mais ne connaitra pas le même succès. Bien belle année que cette année 1967, d'ailleurs, qui verra naître, outre le chef d'œuvre des Beatles, "A Whiter Shade Of Pale" de Procol Harum, "The Piper At The Gates Of Dawn" de Pink Floyd et l'album éponyme des Doors, premiers pas musicaux de trois géants.
Mais si chacun de ces albums porte la marque des Grands, coups d'essai transformés en coups de maître, ce n'est pas le cas de celui de David Bowie, bien timide et conventionnel en comparaison. Pourtant, le disque n'est pas mauvais et, malgré les années, s'écoute plutôt bien. Cependant, si les compositions sont de bonnes chansons, elles ne contiennent aucun tube, et les arrangements semblant faits "à l'économie" ne les mettent guère en valeur. Nombre de titres sont nappés d'un accompagnement à base de cuivres ou de cordes, la guitare acoustique plaquant ses accords sans conviction et le duo rythmique basse/batterie ne servant à rien d'autre qu'à maintenir le tempo, le tout étant clairement destiné à constituer un fond sonore sur lequel puisse s'épanouir la voix du chanteur. Une voix qui, si elle ne s'est pas encore extirpée totalement de la gangue de l'adolescence, possède déjà ce grain qui permet à Bowie de vous faire frissonner jusqu'à la moelle dès qu'il veut bien s'en donner la peine.
Par ailleurs, David Bowie semble tiraillé entre sa soif de reconnaissance médiatique le portant à surfer sur la mode du moment (un trait de son caractère qui le suivra toute sa carrière) et son génie intrinsèque qui le distingue de la masse. De ce fait, l'album est un patchwork de titres inégaux parfois plus proches de la grande variété anglaise que du rock. Les morceaux semblant extirpés d'une comédie musicale hollywoodienne (le mélodramatique 'When I Live My Dream', le fantaisiste 'Join the Gang', le dansant 'Maid of Bond Street') côtoient des chansons folk ('Come and Buy My Toys'), pop ('Love You Till Tuesday', 'There Is a Happy Land'), vaguement psychédéliques ('Uncle Arthur', copie gentillette des chansons de Syd Barrett, 'She's Got Medals' au ton potache, malgré son thème grave, digne d'un John Entwistle des grands jours), voire carrément expérimentales (le surprenant mais ennuyeux 'Please Mr. Gravedigger' qui clôt l'album d'une façon bien étrange). Mais sortent déjà du lot les impertinents et décadents 'Rubber Band' et 'Little Bombardier' où le chant déchirant est en parfait décalage de l'accompagnement au tuba (!) du premier et du rythme de valse "entre-deux-guerres" (!!) du second, ou encore l'hymne mélancolique 'Silly Boy Blue', signes avant-coureurs de ce qui va suivre.
Avec ce premier album méritant, mais pas totalement abouti, David Bowie cherche encore son style et n'évite pas toujours les erreurs de jeunesse, mais fait déjà preuve d'un charisme certain et d'une originalité qui seront bientôt ses marques de fabrique.