Fondé par le batteur de Grey Lady Down qui a quitté le navire lors du précédent album, Thieves' Kitchen publie "The Clockwork Universe", sa sixième galette, épaulé une nouvelle fois par une bonne partie du personnel d'Anglagard, et notamment Anna Holmgren dont la flûte s'avère très présente, pour un résultat certes complexe mais bien moins sombre que les productions des Suédois.
Pour ceux qui découvriraient la musique du trio avec cet album, il est nécessaire de préciser que le propos dont il est ici question est de nature torturée, avec une forte tendance à verser dans le RIO (le fameux Rock in Opposition). Outre des harmonies complexes et des lignes mélodiques peu évidentes, le groupe donne régulièrement l'impression que le chant et l'accompagnement jouent des partitions différentes, l'assemblage des deux demandant un certain effort de concentration pour ne pas en perdre le fil.
Et l'entame proposée par 'Library Song' rentre directement dans le vif du sujet, la voix on ne peut plus plate de Amy Darby posant une mélodie tout sauf évidente sur des accords de piano se résolvant très rapidement par une section instrumentale plutôt débridée. Et ce sont bien les parties purement instrumentales (et elles sont nombreuses) qui auront ainsi notre préférence sur cet album.
Pourtant, loin de se complaire dans un propos que d'aucuns pourraient qualifier d'élitiste, Thieves' Kitchen sait également proposer quelques passages plus consensuels, l'exemple le plus parlant en étant fourni par 'Railway Time' qui, sur des rythmiques toujours aussi alambiquées, délivre une mélodie facilement identifiable portée par des harmonies plus classiques, avec un final qui rappellera les Flower Kings.
De son côté, "The Scientist's Wife' donne dans le RIO pastoral, avec une forte présence de flûte et une voix hélas toujours aussi peu expressive. Là encore, les rythmes contrariés feront le bonheur (ou le malheur) des étudiants de conservatoire qui tenteront de les prendre en dictée, tandis que les harmonies ignorant les quartes, quintes et autres octaves feront probablement rebrousser chemin à plus d'un auditeur … ce qui serait bien dommage tant cette pièce majeure finit par se révéler au fil des écoutes, et nul doute que les dialogues claviers/guitares déchaînés qui habitent la deuxième partie de ces presque 20 minutes feront le bonheur de ceux dont la curiosité fait partie de leur culture musicale.
L'ensemble se termine par 'Orrery' dont le thème tout en douceur joué au piano puis à la flûte vient donner une conclusion aux harmonies symphoniques apaisées.
Jouée par des musiciens de grande qualité, cette nouvelle œuvre de Thieves' Kitchen est à recevoir avec quelques précautions et en aucun cas utilisée comme musique de fond. Pour apprécier ce type d'œuvre, l'esprit doit être libéré de toute autre occupation, et c'est comme cela que "The Clockwork Universe" délivrera tout son sel. Néanmoins, il est fort probable que peu d'entre nous auront la capacité à en enchaîner les écoutes.