Si Finn Zierler voulait faire oublier son absence de près de dix ans, il ne s'y prendrait pas autrement avec ce retour. Tout dans ce projet solo est pensé pour susciter la curiosité : pochette et nom de l'album étranges, report de la sortie initialement prévue en 2013, déclaration sur la nature cathartique de l'ouvrage et surtout line-up époustouflant. Zierler a voulu le meilleur pour restituer sa créativité en s'entourant de musiciens très aguerris: le guitariste Per Nilsson (Scar Symmetry, Kaipa), les chanteurs Truls Haugen (Circus Maximus) et Kelly Sundown Carpenter (Outworld) et le batteur Bobby Jarzombek (Fates Warning).
Projet solo "Esc" peut cependant être affilié au travail avec son précédent groupe, Beyond Twilight, tant il en restitue les pures essences. "Esc" est une synthèse de sensible expressivité mélodique, de puissance, de virtuosité metal progressive et de folle audace. Zierler a composé en voulant casser les codes et les normes, symbolisé par le morceau sans refrain 'No Chorus', et a laissé sa créativité s'échapper dans la grande diversité harmonique de ce magma de metal progressif en fusion bercé par ses claviers et ses arrangements. Le résultat est cohérent, magistral et sans compromis, imprégné de grandiloquence à la Devin Townsend, de technicité à la Dream Theater et symphoniquement ambiancé comme une bande son d'horror-movie.
Avec une incroyable fluidité, "Esc" joue sur les cassures instrumentales (le direct 'You Can't Fix Me No More' ou la séquence fusion de 'Water') et les typologies de chants en clair-obscur ('Darkness Delight', 'Married To The Cause' ou les couplets lumineux à la ACT de 'Aggrezzor'). Sans jamais concéder une mesure de linéarité, "Esc" jongle avec les reprises thématiques (le thème au piano de 'Rainheart' et 'Water') et les contrastes d'atmosphères ('Water') avec notamment un subtil piano qui défie la lourdeur des riffs.
La dénomination de super-groupe n'est pas usurpée ici et il n'en fallait pas moins pour restituer la finesse des structures complexes voulues par Zierler. Nous citerons particulièrement le suédois Per Nilsson, artisan pyrotechnique du riff et signataire de soli justes au toucher allant du lyrisme ('A New Beginning') au néo-classique (le duel piano-guitare de 'Water').
"Esc" est une expérience musicale qui va au-delà du metal et dont les composantes théâtrales ('Dark To The Bone', 'Married To The Cause'), angoissantes (les violons de 'Evil Spirit') et narratives ('A New Beginning') passent par de riches orchestrations ('Dark To The Bone') et des modalités très variées de chœurs ('Whispers' et 'Darkness Delight'). Sur ce dernier point, Kelly Sundown Carpenter, déjà présent sur "Section X" et Truls Haugen, se partagent équitablement les paroles aux extrêmes sophistications et déploient ici toute l'étendue de leurs époustouflantes dispositions vocales et vibrent en phase avec les riches combinaisons harmoniques de "Esc". Rappeurs ('No Chorus'), emphatiques comme un Mike Patton ('Water'), alternativement rageurs et pops ('Darkness Delight' ou l'hyper-mélodique 'You Can't Fix Me No More'), ou mélancoliques (le déchirant 'Whispers') et possédés ('Evil Spirit'), l'Américain et le Norvégien incarnent une large part de l'expression émotionnelle du disque qui trouve en ses deux sommets finaux le point culminant.
En composant "Esc", le prodige danois a voulu repousser les limites qu'il avait lui-même instaurées avec le cultissime album de Beyond Twilight "For The Love Of Art And The Making". Porté par un concept qu'il a déjà abordé dans "Section X" sur la déshumanisation dans la modernité technicienne, Finn Zierler délivre sa substantielle créativité dans cet album dense, mélodique, complexe, épique et excessif qui ne souffre d'aucune longueur malgré sa durée (71 minutes). Il fait un retour explosif et "Esc", probablement une des références les plus marquantes de ces dernières années en metal progressif, constitue l'acmé de sa carrière.