Il aura fallu cinq ans au groupe islandais Agent Fresco pour donner une suite à son premier LP "A Long Time Listening" plutôt bien accueilli par la critique de l'époque. Les quatre membres aux noms quasi imprononçables pour tout ressortissant d'un pays latin sont les mêmes que ceux du groupe d'origine, une formation en quatuor plutôt classique avec un chanteur, un bassiste/contrebassiste, un batteur et, plus rare, un guitariste qui tient également les claviers.
Pourtant, ce classicisme est loin de se retrouver au long des 14 titres qui composent cet album (nos Islandais sont généreux, l'album précédent en contenait 17). Si la musique de certains groupes se classe facilement dans une catégorie, celle d'Agent Fresco hésite entre rock alternatif musclé et post rock s'offrant des détours par le metal et le néo-classique.
'Let Them See Us' qui ouvre ce disque en est un excellent condensé. Ce sont d'abord des sons aigus et saturés, ressemblant à des distorsions électriques, qui montent crescendo pendant plus d'une minute avant qu'une batterie à la frappe lourde et quelques notes de piano électrique ne viennent mettre fin au supplice. S'élève alors un chant étonnamment pur et aigu, poignant, remplacé par le riff rageur d'une guitare saturée qui elle-même s'estompe derrière une montée lumineuse et élégiaque qui introduit le titre suivant. Tout cela en 3'49" chrono, autant dire que nos musiciens ont des idées à revendre et que la chansonnette couplet/refrain pépère n'est pas trop leur truc.
Et cette excellente impression va se confirmer sur tout l'album. Impossible de prévoir ce que le titre suivant nous réserve, ni même de quoi les secondes suivantes seront faites. Le groupe passe sans préavis de la violence la plus furieuse à la grâce la plus aérienne, maîtrisant remarquablement l'art du contraste. Les arpèges délicats du piano et le chant à la fois fragile et puissant, s'élevant régulièrement dans des aigus magnifiques (mention spéciale pour Arnór Dan Arnarson qui fait preuve d'une grande sensibilité) s'opposent sans cesse à des guitares saturées et distordues, des basses lourdes, une batterie exubérante et inventive. Changements de tempo, sautes d'intensité, jeu à contretemps, multiples effets sonores épicent chaque titre pour notre plus grand plaisir.
Certes, tout n'est pas parfait. L'album accuse un petit ventre mou de 'Howls' à 'See Hell'. Enfin, "ventre mou" n'étant pas vraiment approprié car ces quatre titres ensevelissent l'auditeur sous un déluge de décibels, l'envoyant valdinguer sur un mur de sons impitoyable où chaque instrument semble vouloir jouer plus fort que le voisin, efficaces dans leur brutalité mais sans la moindre once du contraste qui constituait jusqu'à présent le sel de "Destrier". Et les changements incessants du presqu'instrumental et très post rock 'Mono No Aware' qui clôt l'album laissent une impression mitigée : le titre est bon mais finit mal ce disque. Néanmoins, il serait injuste de taxer ces morceaux de faiblesse. Ils sont simplement un cran en-dessous des autres, plus recherchés, plus originaux et plus nuancés.
On pense au Muse des premiers temps avec ces thèmes accrocheurs, ces guitares saturées, ces titres puissants et emphatiques, ce chant pur qui s'envole si facilement dans les aigus, ces contrastes entre sombre violence et douceur élégiaque et toutes ces trouvailles qui viennent surprendre l'auditeur dans des titres semblant au départ conventionnels. Laissez-vous séduire par la mélancolie islandaise, vous ne le regretterez pas.