The Dear Hunter fait partie de ces groupes qui n'ont jamais joui d'une reconnaissance à la hauteur de leur grand talent. Après la parenthèse de 2011-2013, avec la sortie des albums "The Color Spectrum" et "Migrant", The Dear Hunter reprend l’écriture d'une aventure conceptuelle ambitieuse démarrée en 2006 se développant sur 6 épisodes. Six ans après le troisième acte, "Act III : Life & Death", The Dear Hunter poursuit les péripéties de son personnage éponyme avec le quatrième volet de ce véritable opéra rock : "Act IV : Rebirth In Reprise".
L’histoire qui sous-tend cette série d’albums, par sa narration, son ancrage dans l’Histoire et son biais psychologique, a toutes les caractéristiques pour incarner la dimension théâtrale ou cinématographique que The Dear Hunter poursuit depuis la création du projet. Si "Act I et II" montraient le visage de l'inventivité débridée du groupe, rappelant en cela la fougue d’un The Mars Volta, le fulminant "Act III" initiait déjà le virage symphonique fortement accompli ici dans ce qu'il a de plus pittoresque et grandiloquent.
"Act IV: Rebirth In Reprise" fonctionne par vagues successives pouvant s'interpénétrer, comme autant de scènes d'une tragédie musicale. "Act IV" est le plus magistral des albums des Américains dans sa construction, ses contrastes et ses orchestrations, et en même temps le plus abouti dans l’excellence mélodique de ses chants et l’ampleur de ses trames musicales. Le titre épique 'A Night On The Town' résume à lui seul toute la classe de The Dear Hunter et en même temps tout ce qui fera de "Act IV" un disque complexe, multi-facettes et imaginatif.
On y retrouve des modalités plutôt familières avec le rock alternatif classieux et jovial ('The Old Haunt'), à la saveur british ('The Squeaky Wheel') ou carnavalesque ('The Bitter Suite IV and V') et le pop-rock à la sensibilité affleurant ('Waves'). Mais aussi des compositions plus fragiles dans lesquelles l'émotion est palpable comme avec le mélancolique 'The Bitter Suite VI' qui se conclut de façon étrange et ténébreuse, le mid-tempo tout en amplitude 'At the End of the Earth', qui gagne en épaisseur au fur et à mesure pour finir en évanescence jazz et 'Remembered' qui apporte un supplément de pesanteur et de théâtralité avec ses arrangements d'une grande subtilité.
En contrepoint de ces séquences, d’autres compositions produisent un effet contrasté vertigineux comme 'Is There Anybody There', titre délicat aux magnifiques refrains calé sur un tempo mesuré, qui fait référence à Pink Floyd autant par son titre que par sa conclusion tissée par une guitare extra-terrestre, ou le poétique ‘Ouroboros’ qui boucle l’album en invitant à sa relecture.
L’écriture audacieuse de Casey Crescenzo s’amplifie dans la seconde partie du disque, dont le matériau hétérogène de "The Color Spectrum" semble avoir été une des inspirations. La suite détonne par son originalité et renvoie une lumière polychrome dont les nuances sont vives avec la disco/funky ‘King Of Swords’ et l'enjouée 'If All Goes Well', ou sombres avec la bouleversante ballade ‘The Line’ ou l’intrigante ‘Wait’ (la chanson la plus heavy de l’album).
La suite de la destinée de The Dear Hunter trouve en "Act IV: Rebirth In Reprise" un chapitre qui synthétise musicalement tous ses prédécesseurs et qui donne du volume au concept. Celui-ci, passionnant et aux multiples lectures, est une des grandes forces du projet et nourrit, autant qu’il est nourri, la performance instrumentale époustouflante. A mesure que les différents actes voient le jour, il devient difficile d’en dissocier les parties, mais ce qui apparaît de manière évidente est que l’hexalogie qui se structure prend inéluctablement la forme d'un monument incontournable du rock progressif et symphonique moderne, et cet "Act IV" est une pierre (un joyau) supplémentaire à son érection.