Deux instruments dont l'orientation première est rythmique ne suffisent pas, a priori, à apporter la matière mélodique nécessaire à la construction d'un morceau de musique. L'association unique basse-batterie est rarement tentée mais quelques grandes figures ont essayé l'aventure, avec plus ou moins de succès, comme Niacin, Billy Sheehan et Terry Bozzio. ZEUS! est un duo formé en 2009 par le batteur Paolo Mongardi et le bassiste Luca Cavina, qui présente deux albums dans sa discographie. Le binôme a délibérément pris le parti de se suffire à lui-même et de pousser la fusion de la basse et de la batterie jusqu'à son point d'extrême audibilité.
Les deux Italiens ont de l'humour et une once d'autodérision, c'est au moins ça de pris, car nul besoin d'être italophone pour comprendre le sens du titre de ce disque "Motomonotono". Ce qui apparaitra comme un titre énigmatique éclatera dans toute son évidence au fur et à mesure de l'épreuve qui attend l'auditeur. "Motomonotono" est bien une succession de motifs monotones éructés par une basse et une batterie dans un groove mécaniste pandémoniaque, incessant et répétitif qui perd sa raison d'être en étant perpétué en boucle. Les genres s'y succèdent et s'y mélangent dans des bacchanales sataniques et métalliques de jazz-math-core, punk et noise.
Les deux instrumentistes ont voulu la quasi-inexistence des progressions et constructions harmoniques pour leurs dix exercices bruitistes et expérimentaux. "Motomonotono" inflige dix sévices terriblement bien étudiés qui annihilent toute possibilité de décortiquer l'œuvre et ligotent toute tentative de penser. A l'issu de l'épreuve qui durera 48 minutes et 55 secondes, quand le silence revient, c'est encore groggy que la victime est prise de vertige : comment une simple combinaison de départ basse-batterie peut générer autant de complexité et de chaos.
ZEUS! ne se cantonne pas de saturer l'espace d'une matière martelée, saccadée ('Colon Hell'), discordante ('San Leather'), angoissée ('Forza Bruta Ram Attack') et dénuée de mélodie. Le bassiste Luca Cavina est aussi chanteur et ses prurits grind de 'All You Grind Is Love' (le groupe a de l'humour, je vous disais) et 'Rococock Fight' déchirent le maelström pour en accroitre le côté malsain. Quelques moments atmosphériques minimalistes et stridents ('Panta Reich'), sortes de bruits de fond qui fendent l'air lors d'une panne générale de salle des machines, arrivent avec bonheur pour permettre de reprendre son souffle mais le retour des hostilités est invariable.
Les référentiels habituels pour aborder la musique sont inopérants avec "Motomonotono", et il faudra absolument s'en convaincre pour ne pas se laisser envahir par le malaise. A réserver aux amateurs avertis (et il semble y en avoir si l'on en juge par certains commentaires) ou à ceux qui, au contraire de Victor Hugo qui disait que "la musique, c'est du bruit qui pense", entrevoient la musique comme du bruit qui s'abandonne.