Déluge, ce nom ne vous dira sans doute rien, ou alors très peu, évoquant peut-être le souvenir, encore récent, d'une démo tape au titre curieux ("Mélas | Kholé") et au visuel pas moins original. C'est pourtant un nom qu'il faudra bien retenir, tant son premier album longue durée fait mal, très mal même, parfaite illustration de la maîtrise déjà acquise par nombre de nos formations, lesquelles n'ont absolument pas à rougir d'une comparaison avec des hordes étrangères, qui ne se justifie plus.
"Aether" témoigne aussi de la mutation en cours au sein de l'art noir, chapelle travaillée de l'intérieur par des diverses forces à la fois différentes mais complémentaires. De fait, parler ici de black metal paraît terriblement réducteur car l'identité du groupe s'affranchit des codes du genre pour s'accoupler sauvagement avec le post hardcore sous l'oeil vicieux d'un sludge mortifère. En découle une masse sombre et agitée, concentré d'une désenchantée fureur.
Une intensité aussi hallucinée que survoltée gronde tout du long de cette écoute qui prend aux tripes, raclant les chairs à vif ('Houle'). "Aether" a quelque chose d'un tsunami sonore dont les ondes se répandent à l'infini. Propulsé par une prise de son laissant hurler chaque instrument, l'opus trouve l'équilibre effrayant entre violence déchaînée et respiration émotionnelle, ambivalence qui confère à ces compostions extrêmement travaillées une dimension aussi fougueuse que fascinante.
De parcimonieuses notes de piano ('Hypoxie'), des bribes de voix fantomatiques ('Appats') viennent enrichir une palette dont la richesse instrumentale n'en grève jamais la froide noirceur. 'Avalanche', saillie pulsative cisaillée en deux par une crevasse hypnotique aux riffs granuleux et obsédants, témoigne de cette forme démentielle d'une puissance volcanique.
Le chant en français, enfin, termine de faire de "Aether", une création profondément personnelle en même temps qu'il participe d'un désespoir orageux ('Naufrage'). Lourd et céleste à la fois, l'album tutoie l'Absolu lors des dix minutes de 'Klartraumer', lente élévation dont les traits se durcissent peu à peu, tout d'abord funéraires avant d'exploser à mi-chemin en un geyser de brutalité épousant alors les traits furieux d'un black metal aussi cérébral qu'échevelé cependant que les ultimes mesures renouent avec l'épure décharnée du début.
Coup d'essai aux allures de coup de maître, "Aether" offre à ses auteurs le sésame pour la cour des grands, œuvre évolutive et viscérale dont l'intelligence n'a d'égale que la brillante beauté.