On se doutait bien que Abstracter ne tarderait pas à dévoiler sa nature monstrueuse. Il y a plus de deux ans, "Tomb Of Feathers" avait jeté les bases d'un art aussi vicié que douloureux, sorte de créature effroyable, bien que non dénuée d'une forme de beauté (noire), née de la copulation entre sludge évolutif et black corrosif.
"Wound Empire" fait mieux que transformer ce premier essai, propulsant les Américains vers les sommets que nous devinions et espérions. Mieux produit que son prédécesseur, cet opus a quelque chose d'une cathédrale aux dimensions gigantesques se dressant au milieu d'un champ de ruines, à l'image de son remarquable visuel.
Ces complus irions étirent leurs tentaculaires ramifications sur des fondations lourdement et profondément enracinées dans une terre sale et ensanglantée. Fidèle à une architecture massive, le groupe enfante quatre pistes qui gravitent toutes autour des dix minutes au compteur, durée colossale leur permettant de remuer vicieusement les chairs.
Bien que figée par une inexorable et minérale souffrance, l'œuvre, aux traits gris et sévères, pourrait être monolithique et n'être que cela. Or il n'en est rien, non pas que le tempo, aux allures de désespérés coups de boutoir, parvienne jamais à se libérer de sa nasse ferrugineuse, mais Abstracter sait faire progresser sa trame et éviter les longueurs ô combien fâcheuses dans lesquelles sombre trop souvent l'exercice lorsqu'il est entre les mains de médiocres. Ce qui n'est bien entendu pas le cas ici.
Encore une fois, les gars n'inventent rien et il y aura bien toujours quelques grincheux pour le leur reprocher. Soit ! Reste que dans le genre, "Wound Empire" ne saurait être critiqué, bloc de matière brute dont les fissures qui le lézardent laissent échapper des émanations puissamment sombres.
Atmosphérique parfois, à l'image de la première partie de 'Glowing Wounds' qui s'éteint en revanche sur un final aussi apocalyptique que définitif, mais constamment travaillé de l'intérieur par une tension explosive et malsaine, l'album vibre d'une force souterraine, emporté par les rouleaux d'une batterie rocailleuse ('Lightless'), lourd substrat que raclent des guitares cendreuses tour à tour profondes excavatrices ou pinceaux de tristesse ('Open Veins'). Au loin, le chant, hurlé et broyé, crache sa bile comme si demain ne devait plus jamais exister.
Tendu comme le foc d'un navire, "Wound Empire" est comme un étau, comprimant toute source de vie et d'espoir. Moins corrompu par le black metal que ne l'était "Tomb Of Feathers", en même temps plus canalisé dans son expression sonore d'une violence paroxysmique, il est un disque plus abouti, confirmant le potentiel de ses créateurs.