Décidément, Gazpacho semble avoir une prédilection pour les albums portant des noms sinistres. Après son "Demon" de l'année dernière, le groupe revient avec un "Molok" aussi peu avenant. Ce charmant personnage est au choix un dieu à qui les Ammonites sacrifiaient leurs premiers-nés ou un démon qui se réjouit des pleurs des mères à qui il vole les enfants.
Dans leur nouveau concept album, Gazpacho en fait une machine capable de calculer ce dont va être fait l'avenir, la vie étant entièrement régie par des lois scientifiques et donc prédictible, la preuve de l'existence d'un dieu quel qu'il soit n'ayant jamais été démontré. A l'issue de ses calculs (et à la fin du disque), Molok détruit l'univers. Le concept, comme d'habitude, est fouillé et complexe. Les plus curieux se reporteront au site du groupe pour de plus amples détails, la présente chronique ne s'intéressera quant à elle qu'au vecteur qui le véhicule : la musique.
Pas de véritable révolution à attendre de cet album, ce qui n'est en rien un reproche. On retrouve tous les ingrédients auxquels Gazpacho nous a habitués : une musique sombre, mélancolique, au tempo souvent lent, qui prend le temps d'installer des atmosphères, un chant sensible, inspiré, communiquant à l'auditeur son angoisse et son spleen et des instruments fusionnels qui, à l'esbroufe d'un jeu ostentatoire, préfèrent broder une infinité de motifs délicats qui s'enchevêtrent avec un art consommé.
Mais lenteur et climats apaisés ne signifient nullement mollesse. La rythmique joue avec une intelligence et une sensibilité qu'il convient d'applaudir à leur juste valeur, Lars Erik Asp et Kristian Torp ayant compris que leur rôle consiste à mettre en relief les thèmes joués par les autres instruments et non à les couvrir. Qu'ils en soient infiniment remerciés. On peut ainsi profiter des superbes mélodies dont les guitares, claviers et violons ne sont pas avares, la section rythmique apportant la touche de dynamisme nécessaire.
Contrairement à "Demon" dont les titres dépassaient allègrement les 10 minutes, "Molok" contient des pistes assez courtes, plusieurs n'atteignant pas les quatre minutes. Néanmoins, que les fans de progressif se rassurent, Gazpacho ne donne pas dans la pop mainstream et même les titres les plus courts contiennent leur lot de ruptures de rythme. Les surprises sont nombreuses, une voix féminine par-ci, un violon tzigane par-là, des chœurs célestes quand il ne s'agit pas d'instruments millénaires, garantissant un plaisir renouvelé pour de nombreuses écoutes.
Bref, tous ceux qui ont aimé les albums précédents ne pourront qu'être séduits par ce nouvel opus aux mélodies mystérieuses, envoûtantes et mélancoliques. A l'image de son chanteur, Jan-Henrik Ohme, qui, tout en restant fidèle à son style, affine encore son interprétation, plus poignante que jamais, Gazpacho évolue par touches pastel, "Molok" ressemblant à "Demon", "March of Ghosts" et autres "Missa Atropos" sans en être une énième resucée. Magistral !
Post-scriptum : l'album se termine par un son bizarre qui n'est pas dû à une défaillance de votre lecteur. Poussant son concept à fond, le groupe a mis à la fin de l'album un code aléatoire qui, s'il s'aligne sur la bonne position de tous les électrons de l'univers, le détruira, faisant de Gazpacho le premier groupe cherchant à provoquer la fin du monde par sa musique. Bonne nouvelle : si après les douze coups du carillon, vous entendez ce bruit bizarre … c'est que vous n'êtes pas morts.