Après s'être offert une récréation avec son album de reprises "Pin Ups", David Bowie revient aux choses sérieuses. Dans un premier temps, il envisage de faire un album basé sur le roman de George Orwell "1984". Devant le refus des héritiers de lui céder les droits, il réoriente son projet en un concept album décrivant un monde futuriste dominé par une dictature et s'invente un nouveau personnage, Halloween Jack, destiné à succéder à Ziggy et Aladdin.
Comme toujours avec Bowie, la notion de concept est à prendre avec circonspection. Un concept, normalement, se réfère à un thème commun à l'album, avec souvent la narration d'une histoire, de son commencement à son épilogue. Or, si le titre introductif colle parfaitement à cette définition, avec ce cri glacial suivi d'une déclamation inquiétante, tant sur la forme que le fond, ponctuant une musique de fin du monde et se terminant par l'apostrophe énigmatique "This ain't rock 'n' roll, this is genocide", nombre de chansons n'ont guère de rapport avec le supposé concept, et même celles qui y sont rattachées bénéficient souvent de textes obscurs peu compréhensibles.
Ainsi, difficile de trouver un lien avec 'Rebel, Rebel', titre-phare incontestable de "Diamond Dogs" et tube inaltérable s'il en est mais dont le rock addictif et dansant, les doo-doo-doo-doo du chœur et le texte se référant à une jeune androgyne rebelle et provocante sont à des lieues de toute science-fiction apocalyptique. 'Diamond Dogs', le titre éponyme, s'en rapproche par le texte et les aboiements de Bowie, la musique étant un hard rock assez conventionnel mais convaincant. En dehors de ces deux titres, points d'orgue de l'album, le disque s'avère plutôt inégal : les atmosphères glauques, inquiétantes et futuristes très bien rendues de 'Future Legend', 'Candidate' et 'We Are The Dead' côtoient des mélodies quelconques dont l'interprétation manque de conviction ('Rock 'n' Roll With Me', '1984' dont l'ambiance funky et très américaine préfigure le prochain album) et des audaces tombant à plat ('Big Brother', 'Chant of the Ever Circling Skeletal Family').
En ce qui concerne le line-up, David Bowie a fait le ménage. Liquidés, The Spiders From Mars, Bowie reprend désormais les guitares à son compte en sus du chant, des sax et de quelques parties de claviers. Avouons que sa prestation brute de fonderie a de quoi faire regretter Mick Ronson. Mike Garson fait encore partie de l'aventure mais son rôle est loin d'être aussi primordial que sur "Aladdin Sane", ne retrouvant son lustre d'antan que sur 'Sweet Thing', un titre mélancolique où Bowie joue magistralement la diva éplorée, modulant sa voix avec une facilité stupéfiante, accompagné de ruissellements de notes du piano magique de Garson et de sax pleurant de manière déchirante.
Après une première face excellente, "Diamond Dogs" s'essouffle dans une seconde face bien terne. La postérité a jugé, n'accordant pas à Halloween Jack la même place qu'à Aladdin Sane ou Ziggy Stardust au panthéon des héros bowiens.