Avec un peu de recul, il est facile de s'en rendre compte, tout va trop vite. Et l'avenir le prouvera, le groupe ne tenant plus la pression. Nous sommes en octobre 1969 et Creedence Clearwater Revival sort son troisième album en moins d'un an. Le succès du précédent est sans précédent et ce "Willy And The Poor Boys" frappera tout aussi fort, voire un peu plus.
Après avoir prouvé qu'il pouvait proposer des titres solides dans un genre country rock, le groupe s'autorise enfin une sortie des sentiers battus. Plus nerveux que son prédécesseur également, ce nouvel essai tire vers la soul ('Down On the Corner'), le rock plus dur ('Fortunate Son', 'It Came Out Of The Sky'), le bluegrass (la légère et enjouée 'Cotton Fields') ou encore les expérimentations limite psyché du final 'Effigy'. Enfin, conscient des limites techniques de son groupe, Fogerty s'appuie sur ses faiblesses pour en faire une force, en proposant un opus sans artifice, à contre-courant du mouvement hyper sophistiqué de l'époque.
En résulte un album qui frôle le génie. 'Down On The Corner', faisant référence à la pochette, lance les hostilités avec une cowbell euphorique et contagieuse. La simplicité et la soul qui se dégage de ce titre sont presque addictives. Et une fois encore, les parties instrumentales, simplistes également, misent tout sur l'ambiance, et ça fonctionne. En attestent plus loin 'Cotton Fileds', le mélodique 'Don't Look Now' et le minimaliste 'Poorboy Shuffle', instrumental à l'harmonica enregistré à l'arrache au coin d'une rue.
Le fantastique 'It Came Out Of The Sky' voit le groupe forcer le jeu, jouant sur des tempi plus élevés. Et quand le texte se fait social, porte-étendard d'une jeunesse rebelle, cela donne 'Fortunate Son'. Mille fois repris, agrémentant de nombreuses scènes cultes au cinéma, il reste l'un des titres les plus célèbres de Creedence Clearwater Revival. Quand le groupe retourne à ses racines, c'est pour nous proposer un 'Midnight Special' dont la rythmique nous emporte une fois encore au milieu du bayou. L'album s'achève au son d'un 'Effigy' aux accords presque faux mais appuyant l'ambiance lourde du titre qui sur plus de 6 minutes nous dévoile un groupe soudain plus grave, presque possédé.
1969 restera indubitablement une année phare pour Creedence Clearwater Revival, présent dans tous les charts mondiaux avec pas moins de trois albums et plus d'une dizaine de singles, chacun agrémenté d'une face B inédite. Varié, spontané et lyrique, "Willy And The Poor Boys" reste encore à ce jour l'une des meilleures productions de ce groupe unique dans l'histoire du rock.