Même si sa présence dans les pages de Music Waves est plutôt inédite, faut-il encore présenter Ibrahim Maalouf, phénomène franco-libanais qui prend place depuis quelque temps au panthéon des jazzmen qui comptent ? Poussé par une frénésie créatrice, notre trompettiste a publié récemment pas moins de quatre albums, et ces derniers mois deux nouveaux projets concomitants sont nés : "Au pays d’Alice", une relecture de Lewis Carroll (en collaboration avec Oxmo Puccino, la Maîtrise de Radio France et un orchestre classique) et "Illusion" un album de jazz électrique, sorte de pensée suspendue entre l’Orient et l’Occident pour lequel il reçut une victoire de la musique (musique du monde). Infatigable et hyper productif, Ibrahim Maalouf nous propose deux nouveaux albums pour cette rentrée 2015, dont celui-ci dédié à l'œuvre de la mythique Oum Kalthoum.
Pour les 40 ans de la disparition de la célébrissime actrice et chanteuse égyptienne, Ibrahim Maalouf reprend l'un de ses grands succès, Alf Leila wa Leila (Les Mille et une Nuits), dans une conversation rare entre la tradition arabe antique et la frénésie du jazz. Pour ce faire, il s’entoure d’une formation recentrée sur le jazz acoustique avec Frank Woeste au piano, Mark Turner au saxophone, Larry Grenadier à la contrebasse, Ira Coleman à la basse et Clarence Penn à la batterie. Si l'éclectisme est la marque de fabrique de ce trompettiste, son autre caractéristique est de jouer sur une trompette à quarts de ton (mise au point par son propre père dans les années 60, et qui est constituée d’un quatrième piston permettant d’obtenir des quarts de ton, élément indispensable à la musique arabe).
Plus marqué par une approche jazz conventionnel, Ibrahim Maalouf perpétue dans cet opus l’hommage qui rappelle celui qu’il avait rendu à Miles Davis sur son album "Wind" (2012) avec la même troupe. Composé de 8 phases, l’album est structuré comme une masterpiece de musique classique avec une introduction, deux ouvertures et cinq mouvements principaux. Effectivement, cette réécriture d’Oum Kalthoum reste estampillée d’un jazz assez habituel qui fait penser à du Coltrane, mais son originalité demeure dans les euphonies orientales qu’Ibrahim Maalouf parvient à faire émerger de son outil. Certes ces dernières sont beaucoup moins présentes que d’ordinaire mais le sextet propose une architecture complexe traitée avec maestria et classicisme jazz.
Cet opus marque une rencontre entre Orient et Occident et magnifie la femme. Si ici Ibrahim Maalouf rend hommage à Oum Kalthoum, il nous rappelle aussi en arrière-plan que la musique reste avant tout un instrument de paix et de réunion.