La folie exubérante de la Beatlesmania a contaminé toute l'Europe, faisant fleurir des clones qui ne rencontreront jamais le même succès. D'autres groupes vont être plus réalistes, et plutôt que de se perdre à singer les Fab Four, vont prêter une oreille à ce qui se fait de mieux en Angleterre sans pour autant renier leurs origines méditerranéennes. Cette deuxième option s'applique au combo gênois New Trolls, dominé par la personnalité du multi-instrumentiste Vittorio di Scalzi, et qui réalise plusieurs singles triomphants, à l'image de 'Sensazioni', avant d'enregistrer son premier album 'Senza Orario Senza Bandiera', qui ne sera pas moins que le premier album concept italien.
Ecrit par le chanteur-compositeur Fabrizio de André, l'album se présente comme une succession de 'mosaïques' sur le quotidien de personnages d'origine irlandaise. Ce voyage passe allègrement de la légèreté (sur 'Signore, Io Sono Irish', un pauvre Irlandais réclame à Dieu une bicyclette pour aller travailler tous les jours à plus de 30 miles de son domicile) au tragique ('Ti Recordi Jo' qui évoque la mort d'un Marine américain). L'album s'ouvre et se termine par la même chanson, illustrant le caractère cyclique du voyage.
''Senza Orario Senza Bandiera' est une déclaration d'amour à la musique anglo-saxonne. Les chœurs de 'Susy Forrester', le piano et les rythmiques d' 'Al Bar Dell'Angelo', le son hard de 'Duemila' ou encore les chœurs et les claviers de 'Tom Flaherty' sont allés puiser leurs délices en Albion. Pourtant le refrain envoûtant de 'Vorrei Comprare Una Strada' s'avère typiquement italien et apporte un nouvel exotisme. Cette synthèse fonctionne sur l'hymne anti-guerre 'Ti Ricordi Joe' où l'échange entre la voix grave de Nico Di Palo, les chœurs et la guitare acoustique puis la trompette apportent autant de sensibilité que de conviction au propos, tout en conservant une assise typiquement transalpine.
Il est difficile de ne pas comparer cet album avec ''Days Of Future Passed'' de The Moody Blues paru l'année précédente. Pourtant, là où le groupe de Justin Hayward laissait libre cours à ses inspirations progressives, mais en s'extirpant des accords orchestraux redondants, les Gênois restent sages dans un format pop et limitent les interventions orchestrales à de simples interludes, sans qu'il y ait vraiment de dialogue entre les deux (à l'exception de 'Padre O'Brien' où la partition classique s'invite avec succès et y devient majestueuse).
'Senza Orario Senza Bandiera' est la réponse italienne au rock anglo-saxon. Si son concept s'apparente plus à une collection de chansons, l'album indique clairement la direction suivie par les autres groupes transalpins, qui après avoir digéré leurs influences, réaliseront une décennie musicale exceptionnelle et maîtrisée. New Trolls se laissera également tenter par le rock progressif sur son prochain album.