Les années 70 ont assurément été bénéfiques pour David Bowie qui a enfanté pas moins de onze albums dont quatre ou cinq peuvent être qualifiés de majeurs. "Scary Monsters (And Super Creeps)" a donc la lourde tâche d'ouvrir les 80's et de succéder à la brillante trilogie berlinoise. S'il a été enregistré à New York tandis que Brian Eno est reparti vivre ses aventures en solitaire, "Scary Monsters" n'est pourtant pas si éloigné des trois albums précédents, et notamment de "Lodger".
Explication de cette continuité, la présence de Tony Visconti aux manettes pour co-produire l'album, la stabilité du line-up dans lequel on retrouve nombre de musiciens ayant été impliqués dans la trilogie berlinoise et un son dense et expérimental hérité de "Low". Car, tout comme ses trois prédécesseurs, "Scary Monsters" est gorgé de musiques saturées, de guitares discordantes, de rythmiques frénétiques. Néanmoins, l'effet de surprise a fait long feu et ce qui semblait novateur sur "Low" est désormais devenu un peu trop familier. Pour la première fois, Bowie donne l'impression de se répéter et de tourner en rond.
Tout commence pourtant très bien avec 'It's No Game (No. 1). Cet échange entre une femme (Michi Hirota) parlant en japonais sur un ton énervé et un homme interprété par Bowie qui chante sans sommation d'une voix déchirée en hurlant à moitié sur une musique déformée et des guitares distordues est à la fois original et convaincant. Le titre est repris pour clore l'album sans la présence de Michi Hirota et dans une version bien plus posée … et ennuyeuse, un peu comme si Bowie fermait la page de sa période expérimentale destroy.
Car entre les deux, tout est souvent bruit et fureur. Rythmique soutenue, tempo enlevé et guitares dissonantes jouant dans l'aigu, l'impression de fouillis sonore domine et le mariage d'un mur de sons cacophonique et d'un chant souvent déshumanisé n'a plus l'attrait de la nouveauté. Ce magma confus et peu harmonieux sert de toile de fond à des mélodies peu précises et pas très accrocheuses. Difficile de trouver du charme à l'ennuyeux 'Up the Hill Backwards', l'ingrat 'Scary Monsters (and Super Creeps)', le disco-like 'Fashion', 'Teenage Wildlife', enfant raté né du croisement de 'Young Americans' et 'Heroes', le lassant 'Scream Like a Baby' ou le médiocre 'Kingdom Come' et ses chœurs gospel. Certes, tout n'est pas à jeter et on peut se raccrocher à l'interprétation de Bowie et à sa voix, ou aux jaillissements dissonants des guitares de Robert Fripp et de Pete Townshend (que du beau monde !), mais c'est à peu près tout.
Fort heureusement, outre l'excellent 'It's No Game (No. 1)', l'album contient deux autres perles avec 'Ashes to Ashes' et 'Because You're Young'. Si 'Ashes to Ashes' a été le tube de cet album, ce n'est pas un hasard. Doté de la mélodie attrayante qui fait tant défaut aux titres précités, la chanson est un excellent compromis entre audace et sensibilité. 'Because You're Young' bénéficie lui-aussi d'un air qui flatte l'oreille, où Bowie réussit à réconcilier son style, une mélodie intéressante et un son original.
S'il avait été enregistré sur la décennie précédente et sur un autre continent, "Scary Monsters (And Super Creeps)" aurait mérité de transformer la trilogie berlinoise en tétralogie tant il s'inspire du style adopté par David Bowie dans les quatre dernières années. Il marque néanmoins incontestablement un essoufflement de l'inspiration du chanteur même si quelques titres lumineux le sauvent de l'oubli.