Ceux qui avaient aimé le Bowie d'"Aladdin Sane" ou de "Heroes" pensaient avoir touché le fond avec "Tonight". "Never Let Me Down" vient malheureusement leur confirmer qu'il pouvait y avoir pire en matière de vide artistique.
Si on est enclin à l'indulgence, plutôt que de parler de vide artistique, disons que Bowie a changé la cible qu'il souhaite atteindre. Il ne prétend plus émouvoir une intelligentsia rock, parfois taxée à juste titre de snobisme, mais veut s'adresser à un public plus large, moins compliqué à satisfaire, qui appréciera avant tout la simplicité d'une mélodie, surtout si elle est combinée à une rythmique boostée pour lui donner un effet dynamique, et si possible répétitive pour pouvoir être retenue facilement.
Sur ces critères-là, David Bowie réussit pleinement son pari et les résultats en termes de vente lui donnent raison, "Never Let Me Down" se classant largement devant "Aladdin Sane", "Heroes" et autres "Station To Station". Eh oui, souvent la vie est injuste ! Car, comme le désire le grand public des années 80, Bowie lui jette en pâture des mélodies au mieux convenues, au pire simplistes, sans surprise, sans nuances, sans changements de tempo. Il suffit d'écouter les quatre premières mesures et tout est dit.
Même si Bowie affirme être revenu à ses racines rock, la musique de "Never Let Me Down" tient plutôt d'un stéréotype de la grande variété à l'américaine mâtinée de disco et de funk. L'introduction de 'Day-In Day-Out' ressemble même beaucoup à 'Alexandrie, Alexandra' de notre Clo-Clo national avec son rythme, ses choristes et ses onomatopées, c'est dire qu'on est loin de 'Suffragette City' ! Le "tchac-poum, tchac-poum, tchac-poum" de la batterie domine tous les autres instruments et s'avère tellement entêtant qu'il devient impossible à la longue de passer outre cette barrière obsédante qu'il installe entre l'auditeur et le chanteur.
Car, sans prétendre que David Bowie est au top de son inspiration, certains titres semblent effectivement vouloir se rapprocher du passé rock de l'artiste, tel le curieusement baptisé 'Zeroes', pied-de-nez (?) à 'Heroes', où le timbre plus âpre de l'Anglais et les soubresauts de guitare électrique rappellent néanmoins de bons souvenirs, sans jamais atteindre cependant le niveau de l'original. Mais le parti-pris, commun à l'époque, de tout noyer sous une rythmique surgonflée, en y ajoutant quelques chœurs sirupeux et des synthés aigrelets pour donner un semblant de légèreté, décourage le mélomane le plus audacieux d'essayer de trouver sous ce fatras un zeste de musicalité.
Reconnaissance du grand public mais flop critique, "Never Let Me Down" est défendu à sa sortie par Bowie comme étant l'un de ses meilleurs à albums. Mais n'est-ce pas ce que tout artiste dit de sa dernière création ? Le chanteur ne devait cependant pas être si satisfait du résultat puisqu'il va prendre un virage radical, mettant momentanément sa carrière entre parenthèses pour se ressourcer au sein du groupe qu'il va créer, Tin Machine, abandonnant le clinquant de ses derniers disques pour réellement revenir à un (hard) rock plus proche de sa base.