Lors de sa scolarité dans une école privée épiscopalienne, le jeune Brian Hugh Warner a très vite compris que tout ce que l'institution rigide lui interdisait - le rock, le chocolat, le sexe, la drogue - était en fait ses principaux centres d'intérêt. Contre toute attente, celui qui était considéré comme un paria a monté un groupe de désaxés tout autant décérébrés, amateurs de contrastes. Brian Hugh Warner a donné naissance à une créature hybride, se drapant de noir et amateur de blanche : Marilyn Manson, qui accole au nom d'une pin-up celui d'un tueur en série (les autres membres auront droit au même traitement). Pour son premier sermon produit avec peu de moyens par Trent Reznor, notre prédicateur de cauchemar part en croisade contre les tartuffes américains.
Le groupe joue un metal sans concession, qui n'a pas encore de couleurs industrielles, faute d'expérience. Pourtant, malgré ce difficile apprentissage, il est capable de convaincre. Après un prélude qui plante littéralement le décor, très inspiré d'Alice Cooper, les guitares et une batterie claquantes font tout voler en éclat sur 'Cake And Sodomy'. Le texte tire à boulets rouges sur les ecclésiastes de tout type dont certains se drapent de chasteté, tout en caressant des enfants sous leurs robes. Le thème de l'innocence confronté à une Amérique coupable hante l'album notamment sur 'Organ Grinder' ou 'Dope Hat'. Les chansons s'enchaînent avec beaucoup d'intelligence, donnant à l'auditeur l'impression d'assister à un spectacle critique complet.
Les guitares tranchantes rythment une violence qui transpire dans les cours de récréation sur 'Lunchbox', sur 'Sweet Tooth' ou encore sur 'Get Your Gunn' à grands renforts de basse. Elles se font parfois étranges comme sur le solo déglingué de guitare de 'Cyclops' (qui compare les femelles avenantes au géant Polyphème) ou trépidantes comme sur 'Dogma'. Un peu plus discret, le clavier n'est pourtant pas en reste et provoque quelques atmosphères irréelles et quasi spatiales comme sur 'Dope That' qui parodie le célèbre Willy Wonka. La voix claire de Marilyn Manson n'a pas encore ce grain lugubre présent sur les albums ultérieurs, mais est déjà modifiée par des effets de reverb. Le chanteur dialogue avec lui-même, hurlant et se répondant avec cynisme. 'Wrapped In Plastic' qui développe une introduction poisseuse avant d'adopter contre toute attente un rythme tempéré sur ses couplets est le sommet de l'album, morceau sur lequel la critique apparaît plus nuancée et fait déjà preuve de maturité (forcément, le thème étant la mort).
Il est dommage que le groupe ait utilisé autant de samples (parmi lesquels on reconnaîtra un autre prédicateur Arthur Brown et son 'Fire'), faisant péché de naïveté, comme s'il avait besoin d'un support extérieur à ses théories scandaleuses, ce qui a pour effet d'alourdir le propos. En outre, l'album aurait pu se séparer de quelques chansons superflues (les trois dernières par exemple) qui ne peuvent éviter le décrochage de mâchoire de l'auditeur. Cet album encore immature mais viscéral sera le premier exercice de démythification de l'Amérique contre laquelle Marilyn Manson se lance dans une croisade perdue d'avance mais ô combien tumultueuse.