Après la sortie de son dernier album en 1987, "Never Let Me Down", David Bowie prend la surprenante décision de disparaître momentanément, ou tout du moins de ne plus apparaître en tant que "David Bowie". Il fonde alors le groupe de rock alternatif/hard rock Tin Machine en compagnie du guitariste Reeves Gabrels et des frères Tony et Hunt Sales (respectivement basse et batterie), tous trois de nationalité américaine. En dépit du succès commercial de ses trois derniers albums, le chanteur a perdu ses fans de base et se fait étriller de plus en plus sévèrement par la critique. Probablement conscient de la médiocrité de ses derniers disques, il décide de se refaire une petite santé, tant artistique que médiatique, en revenant à un rock plus naturel.
Si l'écoute des albums de Tin Machine prodigue une sensation de fraîcheur en comparaison de "Tonight" ou "Never Let Me Down", il serait exagéré de dire qu'ils marquèrent l'histoire du rock. Bowie met donc fin à l'aventure au bout de quatre ans, en 1992, et revient sur le devant de la scène sous son nom avec "Black Tie White Noise". Le "Black" & "White" évoque sa rencontre, suivi d'un mariage, avec le top model noir Iman, l'album commençant et se concluant d'ailleurs par les cloches d'église carillonnant à toute volée sur les deux versions de 'The Wedding', instrumentale en ouverture et chantée en clôture.
Si Bowie avait déjà fait quelques albums de transition, "Black Tie White Noise" ressemble plutôt à un album de synthèse. Premier constat très positif, le disque est diversifié, autant qu'un "Lodger", avec des différences très sensibles de style, évitant l'impression d'entendre toujours la même chose. On retrouve ainsi au détour de l'écoute des petits bouts de "Aladdin Sane" (le solo de piano de 'Looking For Lester'), de "Station To Station" (l'interprétation de 'I Know It's Gonna Happen Someday' proche d'un 'Wild Is The Wind'), de "Low" et de "Heroes" (l'étrange 'Pallas Athena' et les nombreux effets et expérimentations qui parsèment l'album), de "Lodger" et de "Scary Monsters" (les atmosphères sombres et les guitares saturées), mais aussi (hélas) de "Young Americans", "Let's Dance" ou "Tonight".
Il faut dire que David Bowie a fait appel pour la production et le mixage à Nile Rodgers (Chic) à qui il avait déjà eu recours pour son album le plus commercial, "Let's Dance". Mauvaise pioche car Niles Rodgers fait ce qu'il sait faire de mieux (de pire ?), noyant les titres sous des guitares rythmiques et nappes de synthés entêtantes, des chœurs sucrés et surtout une batterie surmixée qui donne envie de tuer le batteur avant la fin du disque.
Fort heureusement, les compositions sont d'une toute autre qualité que sur les trois derniers albums et, sans aller jusqu'à dire que Bowie a retrouvé l'inspiration de "Aladdin Sane" ou "Heroes", il renoue avec un savoir-faire qu'il semblait avoir oublié. A côté des compositions originales, on retrouve des reprises des Cream ('I Feel Free'), des Walker Brothers ('Nite Flight'), de la chanteuse mauritanienne Tahra Hembar ('Don't Let Me Down & Down') et des Smiths (I Know It's Gonna Happen Someday), sur lesquelles l'Anglais appose son style tout en restant très proche des originaux.
Par ailleurs, David Bowie a ressorti son sax qui illumine littéralement certains titres (les trois instrumentaux 'The Wedding', 'Pallas Athena' et 'Looking For Lester') et s'est adjoint les services d'un homonyme, Lester Bowie, dont la trompette agrémente quelques morceaux de ses improvisations free jazz. Tour à tour romantique, soul, gospel, jazzy, RnB, expérimental, funk, oriental sans oublier d'être rock, "Black Tie White Noise", malgré les défauts de sa production et quelques titres dispensables, s'avère être un cru acceptable pour tous les fans d'avant "Let's Dance".