Après avoir exécuté deux albums salement irrespirables, le groupe Laibach se tourne vers des paysages plus enchanteurs. Finies les ambiances claustrophobes, les séances de torture sur des rythmes hypnotiques et minimalistes, les Slovènes ont décidé de pousser la provocation plus loin, en se drapant de discours sociaux-nationalistes sur des airs populaires.
L'album "Opus Dei" obtiendra un succès mondial pour sa reprise irrévérencieuse de 'Life Is Life' du groupe autrichien Opus. Ce choix est loin d´être anecdotique, quand on connait l'histoire de la république slovène, patrie du combo, colonie de la maison austro-hongroise. La reprise sera déclinée de deux manières. 'Leben Heißt Leben' qui ouvre les hostilités adopte un rythme martial sur lequel se pose d'abord le chœur puis la voix généreuse de Milan Fras. La deuxième est la version la plus connue et envoie le groupe au firmament. Les trompettes tantôt solennelles, tantôt menaçantes ouvrent le bal, rejointes par les chœurs et les rythmes tribaux. C´est encore Milan Fras qui prend le soin de guider le chant en anglais, accompagné par les chœurs célestes de ses trois compères dans un crescendo émotionnel d'une intensité inouïe. Le clip offre une imagerie héritée du cerveau de Josef Goebbels, avec des paysages grandioses (les chutes de la Savica), sa lumière expressionniste, ou le visage halluciné d'Ervin Markošek qui n'y est pas de trop. Laibach réussit l'alchimie de transformer un tube de dancing en un hymne humain, rempli de compassion. La même opération est effectuée sur 'Geburt Einer Nation' et cette fois le texte niais du 'One Vision' de Queen devient un brûlot nationaliste pince-sans-rire.
Le reste de l'album est tout autant réjouissant. Le groupe accorde son message martial avec des éléments plus symphoniques ('F.I.A.T.'), plus proches de l´électronique ('Trans-national', qui ressemble à une parodie de Kraftwerk), ou abordant plus directement le rock industriel ('Leben Tod' et sa guitare électrique, 'How The West Was Won' avec son banjo infernal). L'album s'achève par l'hymne relaxant du NSK 'The Great Seal' qui désactive d'emblée les attaques de fascistes émanant de droite et de gauche (surtout de gauche, avec en France, un Manu Chao dont l´optique artistique se limite à la dépénalisation du cannabis) et expose le credo du groupe : "We shall never surrender".
Afin d'endiguer la censure dont le groupe faisait preuve, Laibach a misé sur un succès mondial (en maquillant sa critique d'une teinte mélodique) et provoqué l'expansion de sa musique à travers le monde. Le groupe suscitera de nouvelles controverses, mais peu lui importe, il a réalisé son grand-œuvre.