Cela fait bien longtemps que David Bowie a réussi à décontenancer, voire décourager ses admirateurs les plus fidèles, en tout cas ceux qui le suivent depuis ses débuts et qui ont assisté à son ascension irrésistible tout au long des années 70. Depuis lors, tel un mustang de rodéo, Bowie n'a cessé d'agiter son fan club dans tous les sens, sautant de droite de gauche, virevoltant furieusement, se cabrant, comme s'il voulait tester la résistance de son public, lui infligeant le grand écart entre soupe dance et disco ("Let's Dance", "Tonight"), albums fourre-tout ("Black Tie White Noise") ou résolument hermétiques ("Outside"). Dernier en date, le fortement typé "Earthling" ne pouvait séduire qu'un public amateur de rock indus', laissant sur la touche la majorité de ceux qui avaient vibré pour "Aladdin Sane" ou "Station To Station".
Bonne nouvelle pour ces derniers ! Bowie semble vouloir renouer avec ce glorieux passé sur "hours…" comme le démontre le très beau 'Thursday's Child' qui ouvre l'album. Cela faisait longtemps qu'on n'avait pas entendu chez l'Anglais une mélodie aussi conventionnelle, bien chantée, romantique, avec un mixage raisonnable s'attachant à mettre la voix du chanteur en valeur, où les instruments ne sont pas saturés et parcourus de stridence. Un très beau titre, de facture ultra-classique, tel que Bowie n'en avait pas produit depuis longtemps.
Et 'Thursday's Child' n'est pas un feu de paille. "hours…" reste résolument dans la tonalité de son premier titre et égrène des rocks mid-tempo formatés plus ou moins sur le même patron, à l'exception du court instrumental 'Brilliant Adventure' semblant s'être échappé de la seconde face de "Heroes" et qui prouve que Bowie a un don pour les musiques atmosphériques.
C'est d'ailleurs la faiblesse de cet album. Le ton globalement mélancolique, le format des titres, presque tous proches de la ballade soft-rock, l'utilisation quasi-systématique des instruments comme simple accompagnement musical, le recours aux effets à doses homéopathiques, tout contribue à donner une impression de trop grande homogénéité pouvant facilement conduire à l'ennui. Pourtant certaines mélodies aboutissent à de très belles chansons ('Thursday's Child', 'If I'm Dreaming My Life', 'The Dreamers') et Bowie endosse son statut de chanteur avec conviction et classe. Modulations et trémolos sont au rendez-vous, et tous ceux qui apprécient le Bowie romantique devraient s'y retrouver.
Il manque peu de chose pour que ce disque soit excellent : un rien de déchirement, un peu plus de personnalité instrumentale (l'absence de sax et du piano de Mike Garson se font cruellement sentir) ou un découpage plus astucieux pour mieux équilibrer l'album : les cinq premiers titres, très semblables et donnant ce ton doux et mélancolique au disque, auraient probablement gagné à être intercalés avec les cinq suivants, plus diversifiés, entre le mystique 'What's Really Happening ?', les quelques saturations de 'The Pretty Things Are Going to Hell' ou le vague orientalisme de 'New Angels of Promise'.
Quoi qu'il en soit, "hours…" apportera au nostalgique de la période 70's le même soulagement qu'une gourde à un assoiffé dans le désert. Même si l'eau est légèrement saumâtre, le réconfort qu'elle apporte ne se refuse pas. Malgré sa trop grande homogénéité et la faiblesse de quelques mélodies linéaires, "hours…" est un album plaisant à écouter.