"hours…" avait montré un David Bowie désireux de revenir à une musique plus accessible, se tenant à équidistance des dérives dance ou bruitistes des dernières années. "Heathen" vient confirmer que son prédécesseur n'était pas le simple incident d'un parcours parfois chaotique, mais bien la résurrection du rocker glam des années soixante-dix.
Et comme pour bien fêter ce retour aux sources, Bowie rappelle auprès de lui deux anciens camarades : Carlos Alomar, qui apparaissait encore par intermittence sur "Never Let Me Down" et "Outside", et Tony Visconti qui n'avait plus collaboré avec le chanteur anglais depuis "Scary Monsters (And Super Creeps)" en 1980. Il s'entoure également de quelques pointures, Tony Levin (King Crimson), Jordan Rudess (Dream Theater), Pete Townshend (The Who) et Dave Grohl (Nirvana, Foo Fighters) faisant quelques apparitions. Côté sortie, on notera le départ du guitariste Reeves Gabrels qui l'accompagnait depuis l'expérience Tin Machine.
Si "hours…" mettait un terme au parcours quelque peu erratique de David Bowie durant les quinze dernières années, et parfois vécu comme un chemin de croix par ses admirateurs de la période seventies, il laissait néanmoins à l'auditeur un léger sentiment d'insatisfaction né d'une certaine monotonie. Tout en restant dans la nuance calme, mélancolique et sans saturation ni stridence de l'album précédent, "Heathen" s'avère plus varié, moins linéaire. Les mélodies osent parfois s'aventurer hors du schéma couplet/refrain, les instruments ont plus de place pour s'exprimer, la rythmique est moins carrée.
Oh, tout n'est pas parfait pour autant ! Quelques titres souffrent d'une certaine mollesse, d'une écriture faiblarde et peu imaginative lassant rapidement l'auditeur ('Slow Burn', 'A Better Future' et la reprise de 'I Took a Trip on a Gemini Spaceship'). Fort heureusement, ils sont minoritaires et n'altèrent que peu le bon niveau de l'album. Les quelques morceaux atmosphériques ('Sunday', '5:15 The Angels Have Gone', 'Heathen'), tous réussis, nous ramènent parfois aux atmosphères glauques et froides de "Low" ('Heathen' notamment). Bowie retrouve le timbre acidulé de Ziggy sur quelques rocks plus énergiques ('Cactus', reprise des Pixies, 'Afraid' agrémenté de violons et violoncelles). Et les amateurs de ballades mélancoliques se délecteront de 'I Would Be Your Slave' et surtout de 'Slip Away'. Il y a du Procol Harum dans ce titre superbe, simple mais d'une efficacité diabolique, l'une des plus belles romances de Bowie.
Et surtout, David Bowie chante mieux qu'il ne l'a fait durant ses dernières années, non à la suite d'une quelconque difficulté vocale mais bien par choix artistique contestable. Même s'il a encore trop tendance à abuser de sa voix désabusée et lasse, il retrouve régulièrement les envolées lyriques, les vibratos poignants et les profondeurs romantiques qui font chavirer les cœurs et parcourir l'épiderme de frissons.
Plus audacieux que "hours…", "Heathen" poursuit dans la même veine mélodique et mélancolique tout en renouant avec les albums des 70's. Il manque une petite pointe de folie et de passion pour en faire un disque incontournable mais c'est certainement l'œuvre la plus attachante créée par David Bowie depuis "Lodger".