S'il avait mis trois ans à donner un successeur à "hours…", il n'aura fallu qu'une année à David Bowie pour remplacer l'excellent "Heathen". L'inspiration semblant être meilleure, même si elle n'est pas encore revenue au niveau de celle des années 70, autant battre le fer tant qu'il est chaud ! Tony Visconti est reconduit dans ses fonctions de vice-producteur-musicien et Bowie puise dans son vivier pour inviter le guitariste Earl Slick, dont la dernière apparition date de "Station To Station", et le pianiste Mike Garson, inoubliable interprète de 'Aladdin Sane' et de la prestation live de 'Wild Is the Wind' figurant sur le CD bonus de l'album "Bowie at the Beeb".
Toute l'entreprise semble donc s'engager sous les meilleurs auspices et dès le titre d'ouverture, la mélodie détournée de 'New Killer Star' renvoie à la période "Lodger/Scary Monsters". Depuis "hours…", Bowie est revenu au style de la fin des années 70, alliant des structures classiques, des sonorités moins saturées, une rythmique moins en avant, un chant plus articulé, plus modulé, bref des chansons plus mélodieuses mais détournées à la sauce Bowie qui leur donne toujours une petite touche d'originalité, de bizarrerie, un côté glam/décadent. 'Pablo Picasso', reprise de l'obscur groupe The Modern Lovers, avec son chant vindicatif et sa guitare flamenco, puis l'énergique 'Never Get Old', avec son débit précipité et ses chœurs éthérés, confirment ce retour aux origines.
Néanmoins, un doute s'immisce. Certes, on se plaît à retrouver le style qui avait tant réussi à Bowie, lui permettant de produire quelques œuvres majeures, et son style vocal inimitable est à lui seul un véritable plaisir. Mais si les mélodies ne sont pas désagréables, elles ne sont pas non plus vraiment accrocheuses : chaque chanson est un peu linéaire, faite sur le même modèle et sans surprise une fois lancée. 'The Loneliest Guy' et son ambiance atmosphérique essayent bien de briser la monotonie qui s'installe, même s'ils rappellent beaucoup 'If I'm Dreaming My Life' ou '5:15 The Angels Have Gone' des deux précédents albums. Effort brisé par la gangue d'ennui qui enserre l'auditeur sur les quatre titres suivants ('Looking for Water', 'She'll Drive the Big Car', 'Days', 'Fall Dog Bombs the Moon') où l'indigence des mélodies se le dispute à la platitude de l'interprétation. Trois accords, une amplitude vocale n'excédant pas deux tons, l'énergie d'un escargot un jour de canicule, et hop ! chanson suivante.
Si 'Reality', un peu plus loin, ne vaut guère mieux, ' Bring Me the Disco King' est un exercice de style qui a au moins le mérite de se démarquer de la monotonie ambiante. La chanson flirte avec les années 50 et les crooners américains dans une ambiance de film noir où l'on retrouve le piano jazzy de Mike Garson qui bénéficie d'une longue introduction et conclusion. On est loin des chansons qui ont propulsé Bowie au rang de légende mais le titre dégage un certain charme passéiste et, au royaume des aveugles …
Il est symptomatique que l'un des meilleurs titres de l'album soit … une reprise d'une chanson de George Harrison (' Try Some, Buy Some') écrite par l'ancien Beatles en 1971 et dont la jolie mélodie romantique convient parfaitement au timbre mélancolique de Bowie. Avec son gros ventre mou, il est difficile de dire de "Reality" qu'il est un album réussi, même si son écoute reste agréable et que David Bowie a commis bien pire par le passé.