Au sein de Roxy Music, Brian Eno a activement contribué à faire évoluer le glam rock, qui ne pouvait contenir ses excès parodiques, vers un style plus proche de l´avant-garde, l'art rock. Après une guerre fraternelle entre les deux Brian-Bryan, celui qui se définit comme non-musicien (mais qui axe ses recherches sur la technique en studio) a décidé de poursuivre sa quête de territoire sonore en solo.
Avec ´'Here Come The Warm Jets'´, Brian Eno, qui n´est pas encore le producteur chevronné que nous connaissons tous, sait déjà bien s´entourer. A l'exception du général Bryan Ferry, on retrouve tout le line-up de Roxy Music, comme si cet album se révélait uchronique et nous laissait imaginer ce qui aurait pu se passer si c'était le crooner suave qui était parti du groupe. S'ajoute ensuite une pléiade d'invités prestigieux, dont les 2/3 de King Crimson. Plutôt que de les inviter à fusionner et créer un sacré capharnaüm sonore, Brian Eno leur définit des espaces de jeux dans lesquels ils pourront exprimer leurs talents (et réjouir les amateurs de who's where).
Sans surprise, l'album est marqué par le glam, à l'image de la piste introductive 'Needles In The Camel's Eye' avec une batterie appliquée, ou sur la suivante 'The Paw Paw Negro Blowtorch'. Mais pourtant, contrairement à T-Rex, l'envie de danser est dépassée par l'écoute attentive. Brian Eno aime disperser des grains de sable dans les mécaniques huilées. Un solo assez étonnant de synthétiseur vient court-circuiter la dynamique glam, à l'image de ses soli sur le premier album de Roxy Music. Deux simples slows d'été comme 'Cindy Tells You' ou 'On Some Faraway Beach' passent dans une quatrième dimension, pour le premier sous la poussée des guitares de son compère Phil Manzanera, avec à la clé une empathie pour les malheureuses femmes riches, tandis que le second prend des allures symphoniques. Le traitement du hard rock sur 'Blank Frank' est assez symptomatique de la fusion des idées et des bonnes humeurs (à l'image des paroles parlant d'un terroriste panthéiste) des sessions d'enregistrement.
Mais Brian Eno est un paysagiste sonore qui s'ignore encore (l'ambient viendra plus tard). Si le propos est parfois paisible à l'image du solo de guitare slide de 'Some Of Them Are Old', des climats plus inquiétants s'installent. 'Driving Me Backwards' tétanise grâce à sa note de piano martelée, tandis que le chant semble possédé. Sur 'Baby's On Fire' , le solo de Robert Fripp apporte une chaleur adéquate au morceau qui rend un constat assez cynique d'une humanité occupée à prendre des photos de gens qui brûlent. Le sommet de l'album est définitivement le progressif 'Dead Finks Don't Cry' avec des couplets narquois et un refrain assez chargé d'émotions et de folie. Ce morceau-tiroir semble ouvrir différentes portes qui culminent dans une optique bruitiste finale.
On s'amusera à trouver des ressemblances vocales avec David Bowie, Eno aimant utiliser sa voix comme un instrument à part entière. Sa tessiture lui permet d'être à l'aise avec des registres hauts perchés ('Needles In The Camel's Eye, 'The Paw Paw Negro Blowtorch', 'Cindy Tells Me') ou dans des propos plus graves ('Baby's On Fire', 'Dead Finks Don't Cry', 'Driving Me Backwards'). Pourtant on peut regretter que la production place sa voix quelque peu en retrait comme s'il n'assumait pas son rôle de chanteur.
Premier album et première réussite pour le non-musicien qui apprend son métier de producteur. Un album qui regorge de trouvailles sonores et dont la créativité ne sera pas épuisée sur le prochain disque.