La Kosmische music allemande des années 70 n'est pas morte. En effet, on ne compte plus les musiciens qui ne se cessent de lui rendre hommage, d'en explorer les planantes arcanes, héritiers (presque) naturels de Klaus Schulze, Ash Ra Tempel et autres Tangerine Dream.
Dirk Jan Müller est de ceux-ci, multi-instrumentiste et fondateur d'Electric Orange, figure majeure du krautrock contemporain. Quand il n'est pas occupé avec son principal port d'attache, il collabore avec Space Invaders ou s'embarque en solitaire dans des contrées plus cosmiques encore. Cosmic Ground est le vaisseau qui lui permet de parcourir un sombre et vaste infini.
Un an après un premier vol habité (?), il tente aujourd'hui un second voyage, garanti 100 % analogique, pour aller encore plus loin au fond d'un trou noir. Le nom des divers synthétiseurs utilisés pour cela laisse déjà rêveur, promesse de sonorités froidement duveteuses : claviers modulaires, Mellotron, Farsifa, orgue Hammond et le légendaire Moog etc... composent cet échantillonnage électronique.
Comme son devancier, l'album s'articule autour de quatre pistes seulement mais pour près de 80 minutes de musique ! Dire que le bonhomme prend son temps tient de l'euphémisme, étirant au maximum des plaintes d'une monumentale démesure. Quatre plages donc, quatre monolithes qui se dressent dans les ténèbres stellaires. Sans afficher des teintes aussi lugubres que les créations de Tangerine Dream période Pink, "Cosmic Ground II" a des allures de trip démentiel d'une noirceur hypnotique qui confine à la transe.
Müller étend des nappes froides et volontairement répétitives, installant l'auditeur dans un état proche de l'Absolu, à l'image de 'Organia', élévation orgasmique dont les boucles entêtantes résonnent comme un mantra crépusculaire. Ce qui pourrait être monotone, et le sera sans doute pour des oreilles insensibles à cette beauté cosmique, bourdonne en réalité d'une myriade de sons, effluves obsédants d'un psychédélisme noir.
Comme le montre 'Sol', montée en puissance pulsative, on a souvent l'impression que rien ne se passe alors qu'en fait, c'est tout un monde obscur qui s'éveille dont on remarque progressivement les détails comme ces étoiles que l'on distingue peu à peu, parsemant une voûte nocturne. De son côté, 'Altair' illustre parfaitement la façon dont le musicien parvient à phagocyter toute trace de lumière et de chaleur, tissant une lente dérive dans l'immensité glaciale et silencieuse de l'univers.
Avec cette seconde échappée en solitaire, Müller repousse ici les limites, s'aventurant dans les profondeurs du cosmos. Ce faisant il accouche du meilleur album de krautrock entendu depuis très longtemps, opus sombrement analogique et psychédélique.