Malgré une carrière entamée il y a quinze ans déjà et jonchée de plusieurs offrandes, au nombre de quatre, en comptant "Epilogue" (2012), mini-album et dernier côté d'une sorte de quadrilatère entamé sept ans plus tôt avec le fondateur "Scars Of The Midwest", Blueneck demeure aussi méconnu que sa musique est belle.
De fait, il faut vraiment être sourd ou bien n'avoir jamais souffert pour ne pas être touché par le post-rock intimiste esquissé par les Anglais dont "The Fallen Host" reste ce qu'ils ont enfanté de plus pur, de plus déchirant. Largement supérieur à nombre de formations du même genre pourtant plus exposées que lui, le groupe doit se contenter d'un succès d'estime bien injuste eu égard à son talent. Celui-ci n'en continue pas moins de façonner son art, d'évoluer à son rythme, livrant à chaque fois des opus aux allures de trésors connus d'une poignée.
"King Nine" y changera-t-il quelque chose ? Il est permis d'en douter. Il s'agit pourtant, et encore une fois, d'une incontestable réussite qui, dans un monde parfait, devrait embrasser un plus large public que celui qui sera le sien. Mais peu importe, ceux qui le suivent depuis tout ce temps savent que Blueneck ne les décevra pas, fidèle à une justesse de ton autant que de traits.
A l'écoute de cet album, on mesure déjà combien l'étiquette "post rock" paraît de moins en moins pertinente pour définir une musique dont la force émotionnelle tend avec les années à s'exprimer avec un minimalisme pointilliste, loin des envolées stratosphériques qui ont pourtant conduit si haut "The Fallen Host". Discrètes bien qu'essentielles, les guitares laissent tout l'espace nécessaire à Duncan Attwood, clé de voûte de cette cathédrale battue par les vents, dont le chant fragile teinté d'amertume se veut la colonne vertébrale de compositions d'une beauté tripante. L'entendre poser sa voix trempée dans l'encre noire du désespoir procure de précieux frissons. Dès 'Counting Out', la magie de ces lignes vocales hantées puissamment intim(ist)es opère.
Œuvre désenchantée et hypnotique d'une froide tessiture, à l'image du titre éponyme, "King Nine" n'en demeure pas moins riche d'un socle instrumental dont les arrangements participent d'une tristesse pulsative ('Man Of Lies'). Faussement épurées, ces neuf plaintes se révèlent être des bijoux d'ambiances et de progression, richesse d'orfèvre dont la plus belle illustration est très certainement incarnée par 'Mutatis', pulsation crépusculaire longue de plus de neuf minutes en forme de lente montée en puissance qui finit par exploser en un orgasme funèbre.
Sans gommer sa mélancolie planante coutumière, Blueneck accoste avec "King Nine" les rivages d'une musique plus pop (dans le bon sens du terme, s'entend) voire quasi cinématique, faisant de lui sans doute l'album le plus abouti de ses auteurs.