Après avoir livré avec Yearning en 2003 une quatrième offrande, "Evershade", inaboutie, poursuivant la mue atmosphérique entamée par "Plaintive Scenes" puis "Frore Meadow" mais sans posséder ni la beauté du premier ni la mélancolie glaciale du second, nous étions alors nombreux à croire perdu Juhani Palomäki, le maître des lieux, ce que le silence des années qui ont suivi semblait vouloir confirmer.
Or, dans l'ombre, l'homme, de plus en plus tourmenté et rongé par ses démons, préparait son retour, doublement scellé en 2007 par la publication de deux opus, le très réussi "Merging Into Landscapes" avec Yearning, son principal port d'attache dont il sera, nous le découvrirons trois ans plus tard, le dernier signe de vie, et ce "Delirium", premier chapitre enfanté sous la bannière d'un nouveau groupe.
Projet cathartique et en cela extrêmement personnel, presque intime, même si le Finlandais n'en est pas le seul acteur, Colosseum lui permet de ruminer tout le mal être et le désespoir qui le hantent alors, navire funéraire s'abîmant dans les profondeurs obscures de la tristesse la plus infinie. Miroir de sa propre solitude, Palomäki trouve dans cette entité spectrale un exutoire terrifiant.
Alors qu'il s'en était peu à peu éloigné avec Yearning, il replonge d'un coup dans la fosse Marianne du doom le plus funèbre pour ne plus remonter à la surface. Pire, jamais, même à l'époque de "With Tragedies Adorned", son art n'a sonné aussi noir, miné par une inexorabilité foudroyante. Massif et funéraire, "Delirium" est un album qui semble provenir des limbes elles-mêmes, suintant la mort par tous les pores. L'écouter en sachant que son auteur se suicidera quelques années plus tard se révèle une expérience pour le moins troublante.
Et si elle ne s'enfonce pas aussi loin dans la langueur dépressive que certaines pierres tombales forgées par d'autres esthètes de la douleur hivernale tels que Shape Of Despair (auquel on pense parfois) ou Tyranny, car laissant le sens de la mélodie coutumière de Juhani dérouler sa toile empreinte d'une froide beauté, l'œuvre n'en possède pas moins cette capacité rare d'appuyer sur l'interrupteur, plongeant tout ce qui l'entoure dans le voile opaque d'une nuit éternelle.
Fidèle au credo du funeral doom qu'il ne cherche nullement à révolutionner, "Delirium" épouse la forme d'un bloc de plus de soixante minutes, que creusent six longs corridors enténébrés par des voix d'outre-tombe et qu'éclairent à peines les lignes de guitare et les nappes de clavier reconnaissables entre mille du Charon finlandais.
Nul besoin d'en dire davantage, il suffit de fermer les yeux et se laisser engourdir par ces mélopées funèbres, immersion dans les sombres replis de l'âme du regretté Juhani Palomäki ...