Pourtant déjà bien préparés par les mémorables "Leaving Paris" et plus encore "Hope//Dope//Rope", nous ne nous attendions pas à un tel choc, à une telle bûche. D'un coup, Hangman's Chair ne fait plus partie des êtres humains, propulsés vers d'autres cieux.
Musicalement, cela se traduit par un art de plus en plus ouvert, brassant toutes sortes d'influences qu'il absorbe tel un buvard. Si depuis longtemps le groupe a su s'affranchir du Stoner Doom auquel il a été rattaché, avec "There Is Not Supposed To Be Positive", il se débarrasse définitivement de cette étiquette. Est-ce à dire que les Français ont mis de l'eau dans leur vin de messe ? Bien au contraire.
Sans gommer des racines profondément terreuses ('Save Yourself'), ni mettre en jachère une mélancolie fiévreuse qui les arriment encore au Rock de mammouth, ils larguent les amarres pour aller flirter avec le grunge et même, attention au gros mot, la pop. La voix puissamment émotionnelle de Cédric Toufouti est bien entendu pour beaucoup dans cette coloration fragile et désenchantée, distillant un mal-être malsain que soulignent au burin guitares sales et rythmique rugueuse ('Dope Sick Love').
Écrit à l'encre noire du désespoir, ce quatrième opus est en réalité une création faussement calme et apaisée en ce sens qu'il charrie une violence sourde, celle de sentiments rongés par une tristesse corrosive. Minée par une négativité crasseuse, "There Is Not Supposed To Be Positive" a quelque chose d'un long râle, spleen d'une "lancinance" funèbre ('Rouge pour le Sang', 'Bleu pour la Grâce').
Il est une manière d’œuvre d'art totale, pensée comme un tout indivisible où chaque détail a son importance, sa raison d'exister, d'être là et pas ailleurs. Cela commence avec cette pochette épurée dont l'esthétisme tranche avec le tout-venant, se poursuit avec des textes aussi douloureux que personnels, poèmes d'une dimension introspective, et s'achève avec ce Doom intim(ist)e d'une solennité plaintive qui, clairement, n'appartient qu'à ses auteurs.
On ne sort pas indemne d'une écoute sournoise qui installe l'auditeur dans un cadre amer pour l'endormir et l'entraîner vers la mort ... Si de nombreux titres ont le potentiel pour ratisser un (plus) large public, preuve en est donnée avec 'Dripping Low', amorce entêtante qui ne s'interdit pourtant pas des traits pesants, il y a là, toujours, dans l'ombre, quelque chose de déglingué qui telle une lèpre au goût de rouille empoisonne une trame finalement moins accessible, moins facile qu'il n'y parait de prime abord. Aucun morceau ne suit vraiment la trajectoire qui semble lui être promise, sillonnant un chemin qui, à la ligne droite, préfère les virages et les angles morts.
D'une belle richesse instrumentale qui ne se dévoile que par petites touches pointillistes, distillant des atmosphères lynchienne ('Your Stone'), "There Is Not Supposed To Be Positive" est de ces albums aux multiples couches, car derrière le verni foisonnent des trésors d'ambiances et d'écriture. Oubliez l'étiquette doom, sludge et autres et plongez corps et âme dans cet opus -un des meilleurs de l'année - qui dépasse et transcende les frontières.