Si l'alchimie qui opère dans ce qu'on appelle un super-groupe n'est pas toujours évidente, loin s'en faut, il faut avouer que le projet Headspace, dont le premier album "I Am Anonymous" est sorti en 2012, est une réussite. Bien que les cinq instrumentistes qui composent ce groupe de metal progressif ne soient pas tous des têtes d'affiche de la trempe de Damian Wilson, ils n'en restent pas moins des musiciens respectés pour leur carrière. Seul le batteur Richard Brook, remplacé par Adam Falkner (One EskimO), manque à l'appel de ce nouveau disque "All That You Fear Is Gone", encore une fois fruit d'une collaboration artistique dans cette formation démocratique.
La trilogie voit en "All That You Fear Is Gone" son second épisode sous forme d'un concept album avec des titres de 2 à 8 minutes entourant deux pièces épiques qui permettent d'aborder la musique progressive avec un spectre étendu allant du rock au metal. La complexité est encore une donnée structurante de la création chez Headspace tout en demeurant circonscrite à des passages bien balisés dans lesquels les respirations offrent le juste contrepoids. Celles-ci procèdent d'ambiances chaleureuses portées par des instruments organiques comme la guitare acoustique ('Kill You With Kindness', 'Borders And Days') ou le piano ('Your Life Will Change', 'Semaphore') qui prend le pas globalement sur les synthétiseurs ('Kill You With Kindness' qui rappelle Ayreon).
Dès les premières minutes, la musique adopte une posture déterminée et urgente avec un 'Road To Supremacy' cultivant la tension et la puissance, et un 'Your Life Will Change' aux pulsations entraînantes. La dimension émotionnelle apparaît clairement quand le dialogue entre Damian Wilson, vecteur de sensibilité, et le piano de Wakeman assombrit le tableau ('Semaphore' procédera de la même manière). Le surprenant 'Polluted Alcohol' offre quelques minutes de cautérisation acoustique avant d'aborder le cœur du disque. 'Kill You With Kindness' s'empare de la lourdeur secrétée précédemment pour amener les contrastes à leur point ultime, là où les guitares hurlent leurs riffs et leurs harmoniques sur le lyrisme des sustains et où le réconfort des sons organiques étouffe la brutalité des accordages bas. 'The Science Within Us' est le sommet de l'album, la vitrine du savoir-faire du groupe, avec ses disputes de chants entre mélodie et dissonance, ses parties instrumentales virtuoses et jouissives et son irrésistible montée en intensité.
"All That You Fear Is Gone" offre jusque-là une qualité comparable à celle de "I Am Anonymous" mais l'inspiration et la cohérence des assemblages montrent des signes de faiblesse, particulièrement sur la fin. Le blues du bayou 'Polluted Alcohol' bizarrement coincé entre deux brulots et le thème classique de 'All That You Fear Is Gone' qui précède un 'Borders And Days' cristallin et pop sont estimables pour leur originalité mais ils dépareillent du canevas harmonique environnant. La dernière piste, celle qui donne la saveur restant en bouche, a du mal à séduire tant par les mélodies que par la construction, et incarne de justesse et sans totalement convaincre l'apothéose attendue en clôture de ce disque long et conceptuel.
Abstraction faite des quelques réserves mentionnées "All That You Fear Is Gone" est un très bon album de metal progressif qui n'apporte rien de fondamentalement différent par rapport à son prédécesseur sans toutefois atteindre sa constance et sa densité. Il demeure plus abordable dans ses formats que "I Am Anonymous" et confirme la signature et les qualités d'écriture des Anglais. Les amateurs de l'opus précédent seront logiquement comblés par cette suite.