Les "Têtes Parlantes" se sont formées en 1974
à New York dans un monde musical en pleine mutation. Si Johnny Rotten et les siens ne déclameront leurs invectives contre la reine que trois ans plus tard, les Américains connaissaient déjà le punk au travers des rythmes ensorcelants de Television, de la morgue des Ramones, du charme sexy et froid du groupe Blondie et des contestations tout autant sociales qu'esthétiques de Patti Smith. Certains clameront au déshonneur de l'Angleterre d'avoir totalement dénaturé le mouvement au mépris de la musique, mais pour l'heure les Talking Heads nagent à contre-courant. Le groupe se compose du chanteur et guitariste d'origine écossaise David Byrne, Chris Frantz se charge
d'une batterie énergique, parfois sèche qui annoncera une musique
tribale vers laquelle le groupe va logiquement se diriger, sa femme Tina Weymouth s'occupe de la basse. Le trio est rejoint par le très gracieux Jerry Harrison, multi-instrumentiste aussi à l'aise avec
une guitare ou un synthétiseur. A quatre, ils vont accoucher de l'album rouge, dont le titre peut être compris comme le livret de naissance du groupe.
A l'inverse de toute violence et froideur environnantes, le groupe adopte des rythmes sautillants, pour ne pas dire dansants. 'Tentative Decisions' ou le punk 'Pulled Up' pourraient aisément passer pour des hymnes sportifs pour le premier grâce à son piano rutilant, sa batterie martiale et le dialogue de voix entre Byrne et Harrison sur le refrain, pour le second par son refrain enflammé et son crescendo vocal. ' New Feeling' avec sa rythmique funk et la voix sur ressort de David Byrne, ou 'The Book I Read' avec son piano de bastringue pourraient alimenter les boîtes de nuit. Le groupe fait preuve d'un véritable désir de syncrétisme en apportant des sonorités caraïbéennes 'Uh-Oh Loves Comes To Town' ou 'First Week Last Week' avec un solo lumineux de marimba, voire italiennes avec l'intro mafieuse à la mandoline d'une chanson au texte teinté de cynisme. Car c'est cette voix unique qui rythme l'ensemble. David Byrne semble nous conter les affres de personnages tourmentés, capable de passer de la mélancolie à la folie en un instant (le très progressif 'No Compassion' et ses relances de guitare, ou 'Happy Day').
Mais le groupe entre dans la légende avec son 'Psychokiller'. Porté par une basse inquiétante, quelques guitares dissonantes, la voix possédée de David Byrne nous fait part des inquiétudes d'un psychopathe si maniaque de la politesse et ennemi des conversations basiques, qu'il en passerait comme l'individu le plus sain de notre société américaine (rappelons que c'est le groupe de chevet de Patrick Bateman, le psychopathe de ''American Psycho'' de Bret Easton Ellis). Il n'hésite guère à passer au français, utiliser des onomatopées, et surtout réaliser des montées vocales syncopées et automutilantes.
L'édition remastérisée offre quelques bonus dont se dégagent une chute de répétition à grands renforts d'orchestre de 'Psycho Killer' ou encore le premier single 'Love Building On The Fire' qui n'a pas été inclus à l'album studio, accusant quelques ressemblances avec 'Don't Worry About The Government'.
Première réussite d'un groupe qui ne va cesser d'enrichir son répertoire et sa culture par des prises de risques passionnantes. Et si les Talking Heads avaient réinventé la musique dès leur genèse ?