Chaque nouvelle offrande de Borknagar, véritable super groupe de la chapelle noire norvégienne, est toujours impatiemment attendue et c'est plus que jamais le cas de "Winter Thrice". Deux raisons, au moins, expliquent cette attente accrue.
D'une part parce qu'il marque le retour du groupe après quasiment quatre ans de silence discographique, tunnel anormalement long même si le collectif a toujours pris son temps, la faute aussi au fait qu'il n'a jamais été vraiment autre chose qu'une maîtresse, certes précieuse, qu'on vient honorer à intervalles irréguliers selon l'inspiration et les disponibilités de musiciens fortement occupés ailleurs, chez Vintersorg, Arcturus, Solefald et bien d'autres encore. D'autre part car il succède à l'acclamé "Urd", qui fut ni plus ni moins que le meilleur album de ses auteurs depuis "Empiricism" en 2001.
La sortie de "Winter Thrice" s'inscrit donc dans ce double contexte. Malgré les cinq années qui les séparent, ce dixième album (déjà !) creuse un sillon identique à son devancier, à savoir cet art (noir) dont les traits à la fois progressifs et vikings ont été fixés à partir de l'arrivée de Vintersorg, artiste à l'identité affirmée et par conséquent reconnaissable entre mille.
De fait, il ne reste de ses racines extrêmes que de fragiles oripeaux, incarnés par des growls, coincés entre un chant clair prédominant. Il faut dire que lorsqu'on accueille en son sein des voix aussi puissamment émotionnelles que celles du Suédois, d'ICS Vortex et de Lazare, on aurait tort de ne pas en tirer profit. Borknagar doit à cette présence vocale exceptionnelle, esquissée à partir de "Universal" (sur le titre "My Domain") et confirmée par "Urd", sa principale particularité, ainsi qu'une bonne part de sa valeur. "Winter Thrice" offre aux chanteurs l'écrin parfait pour s'exprimer, régalant les sens et ce, dans tous les registres, même les plus agressifs ('Cold Runs The River').
Une fois lancé, 'The Rhymes Of The Mountain' procure de délicieux frissons lorsque l'organe glacé de Vintersorg surgit. Du haut de ses presque sept minutes au compteur, cette entame du feu de Dieu, résume à elle seule la signature du groupe aujourd'hui : lignes de chant pleines d'une majestueuse ambivalence, souffle épique, (timide) accès de violence et envolées mélodiques.
Car on aurait tort de vouloir réduire Borknagar à ces seules joutes vocales, aussi ensorcelantes soient-elles tant le canevas déroulé pendant presque une heure impressionne par sa foisonnante et alambiquée richesse. Fidèle à une identité sonore d'une généreuse intensité, le groupe forge un art d'une majestueuse ambivalence, mélange unique du feu et de la glace, qui jaillit de compositions travaillées avec la minutie d'un orfèvre, polies à la manière d'une sculpture de glace, qui semble se dresser dans le blizzard depuis la nuit des temps.
En découle un ensemble merveilleux qu'il semble bien difficile de prendre en défaut, autant dans la forme - la prise de son est énorme - que dans le fond. Borknagar s'est fait désirer mais l'attente se voit récompensée par cette offrande aux allures de Valhalla.