En sept albums, Toxic Smile s'est forgé une réputation d'esthète dans tous les domaines que le groupe allemand aborde. Il s'est surtout doté d'une forte identité musicale basée sur un rock/metal progressif léché et mélodique. A l'instar d'un Vanden Plas dont il partage plus que la nationalité, Toxic Smile est un des fers de lance de la mouvance progressive, rock et metal confondus, d'outre-Rhin.
Pour ce très attendu huitième opus, les Allemands se lancent dans un exercice qui démontre leur audace et leur créativité, un concept album d'une piste unique de 42 minutes. La figure de style est risquée et beaucoup s'y sont perdus dans le passé. Mais avec Toxic Smile, la curiosité et l'expérience nous laisse présager le meilleur. Et bingo !
" ... When I listen to the world and close my eyes, I see reality ... ". Quelle serait notre perception du monde sans la vue, superficielle et biaisée ? Tel est le concept de ce "Farewell", qui place l'ouïe comme sens le plus adapté à cette perception de notre monde. Et la musique dépeint ce concept à la perfection, avec une noirceur agressive poignante des phases où le narrateur voit, et avec une harmonie mélodique lumineuse lorsqu'il est à l'écoute des autres sens. Du coup, les ruptures de rythmiques et changements d'ambiance sont fréquents et s'enchaînent naturellement au fil du récit.
Chaque membre du groupe s'attache à véhiculer les émotions tout au long de l'intrigue. Larry B., dont l'organe est devenu la marque de fabrique du son made in Toxic Smile, module sa voix très expressive entre douceur mélodique et agressivité, exprimant ce qu'il ressent en voyant, puis en écoutant son environnement. A la six-cordes, Uwe Reinholz distille une palette de jeu très large allant des gros riffs heavy aux arpèges doucereux en passant par des soli clairs et aériens. Le morceau de bravoure entre la onzième et la quatorzième minute où, après un break électro au clavier, il alterne un solo dans les aigus et un gros riff soutenu par ces percussions traditionnelles avant de finir en arpèges cristallins, en est la parfaite illustration.
La section rythmique accomplit également un travail remarquable. La basse groovy au son bien rond, très présente sur les phases de breaks mélodiques contribue grandement à l'ambiance musicale lumineuse. Tout comme l'emploi de percussions traditionnelles qui étoffe encore le large éventail de sonorités déployé sur cet album. Les Allemands se sont également adjoints les talent d'un quatuor à cordes, Concerto Bellotto, originaire de Dresde, donnant à l'ensemble un relief symphonique au son authentique. C'est d'ailleurs ce quatuor qui lance le titre sur une ouverture mélancolique et profonde précédant l'arrivée progressive des autres instruments. Les quatre violonistes apportent ensuite une dimension dramatique aux passages les plus inquiétants.
Les variations d'ambiances sont soulignées par les nombreux effets de claviers en nappes voluptueuses ou sous la forme d'un piano jazzy, ou parfois avec des sonorités plus électroniques. Marek Arnold qui s'en charge à merveille est également le maître à penser, et à écrire de Toxic Smile et le solo de saxophone vers la vingt quatrième minute nous montre toute l'étendue du talent de celui qui est également connu pour ses participations à des projets tels que United Progressive Fraternity ou Seven Steps To The Green Door pour ne citer qu'eux. Malgré la diversité des phases rythmiques, le tout s'écoule avec fluidité et les transitions sont habiles, grâce à des arrangements travaillés et au thème mélodique principal qui revient à plusieurs reprises, permettant à l'auditeur de se rattacher à des mélodies familières.
'Farewell' a beau être une piste unique, il comprend sept ou huit parties progressives distinctes alternant rock et metal avec un équilibre savamment dosé. Jamais trop agressif ou trop mielleux, le tout s'écoute d'une traite avec bonheur. Et les yeux fermés, c'est encore mieux. En effet, le concept n'est pas seulement narratif. Il s'inscrit dans la musique elle-même et c'est le meilleur moyen de ressentir l'album et ce que le groupe a voulu y exprimer.
Avec ce "Farewell", Toxic Smile propose un album de prog élaboré, au concept créatif et intelligent, qui plus est, dans un exercice de style risqué. Cette prise de risque est payante puisque l'émotion et le plaisir sont au rendez-vous dès les premières notes et jusqu'à la dernière. Tout dans cette production est réussi, jusqu'à l'artwork peint de la main de Robert Brenner, bassiste du groupe. La richesse mélodique de "Farewell" promet de nombreuses écoutes à tous les amateurs de prog. Si le titre est facile d'accès avec des mélodies efficaces, il révélera tous ses développements progressifs et ses arrangements subtils au fil des passages sur votre platine. Alors fermez les yeux et découvrez cet "adieu" au monde tel que vous le connaissiez.