C'est un Joe Satriani radieux, crâne rasé et lunettes noires, qui émerge à la sortie de l'excellent "Joe Satriani". L'américain aborde la quarantaine avec une générosité, une ouverture d'esprit et un statut de meneur entérinés par la création en 1996 de son événement guitaristique majeur : le G3. Le G3 est une tournée organisée autour de Satch et Steve Vai, les deux amis fidèles du rendez-vous, auxquels s'ajoutent de nombreuses pointures comme Eric Johnson (qui inaugurera l'aventure et sera immortalisé sur le DVD "Live In Concert" de 1997), John Petrucci, Robert Fripp, Steve Morse, Yngwie Malmsteen, Paul Gilbert ou Al Di Meola. Au sortir de l’aventure introspective et radicale de son sixième album, Satch retrouve son écriture stratosphérique, éthérée et nourrie d’influences vintage, tout en modernisant son environnement sonore.
Le Satch qui aborde la fin du siècle se veut à la fois conservateur et innovant. Conservateur tout d'abord, car autour du noyau constitué de ses vieux compères Jeff Campitelli et de Stu Hamm, presque dix ans après sa participation sur "Flying In A Blue Dream", Joe renoue avec l'exigence technique, le lyrisme et la composition aérienne qui ont forgé sa signature dans les premiers albums. Les quinze titres de "Crystal Planet" retrouvent une forte discipline dans les constructions en dégageant toujours autant de mélodie et d'énergie. Le blanc immaculé de la pochette, qui tranche avec le rougeoyant "Joe Satriani", résulte de l’addition de toutes les couleurs de la palette harmonique de Satch qui se combinent pour façonner un des disques les plus hétéroclites de l’américain.
"Crystal Planet" fait cohabiter les morceaux puissants, dont certains deviendront des classiques souvent joués en concert, avec toujours autant de mélodies célestes ('With Jupiter In Mind') comme l'orientalisante 'Crystal Planet' ou la bluesy 'House Full Of Bullets', et les ballades extra-terrestres dont Satch a le secret (la sublime 'Love Thing' dont la reprise à la basse par Stu dans le live à San Francisco est fameuse). La maîtrise du riff n'a pas abandonné le virtuose et quelques-unes de ses meilleures inspirations sont gravées à jamais sur ce disque comme les martelées 'Time' et 'A Train Of Angels' ou les percutantes 'Up In The Sky' et 'Trundrumbalind'. La fibre expérimentale de Satriani s'exprime quant à elle dans l'évanescente 'A Piece Of Liquid', la jazzy 'Raspberry Jam Delta-V' ou la minimaliste 'ZZ's Song' en hommage à son fils Zachariah Zane.
Mais "Crystal Planet" est aussi un projet audacieux pour un Satriani technophile qui s'aventure pour la première fois à faire entrer l’électronique au cœur de sa musique. Le nouveau venu Eric Caudieux, claviériste et ingénieur du son américain qui a par la suite travaillé sur le "Chinese Democracy" des Guns N'Roses est l'invité surprise de ce septième album. La collaboration, qui prendra une tournure radicalement techno sur le prochain album, durera dix ans et affecte déjà le design sonore, le rendu et la production des compositions qui gagnent en agréments, ampleur et profondeur ('Raspberry Jam Delta-V'). Le jeu de Satch aussi prend une nouvelle dimension et s'enrichit via l'utilisation de pédaliers aux effets variés et modernes (la pédale whammy par exemple).
Si "Crystal Planet" signe le retour d'un Satch à l'écriture plus familière, après un "Joe Satriani" brut et instinctif, il amorce aussi un virage qui placera son prochain album aux antipodes de tout ce qu'il a déjà composé jusqu'à présent. Joe Satriani prend des risques pour ce disque qui, selon ses dires, serait le croisement du "Band Of Gypsys" de Hendrix et le "Fat Of The Land" de Prodigy, et le résultat est une réussite, tant en termes de qualité que de ventes. Cela va conforter l'Américain dans son pari d'explorer encore plus intensément la fusion de la guitare instrumentale et de la musique électronique.