A l’approche du troisième millénaire, Joe Satriani tente une nouvelle approche artistique en portant un vif intérêt aux nouvelles technologies et à la musique électronique. En 1998, "Crystal Planet" est une première expérience réussie qui garde encore une forte composante organique. Deux ans plus tard, "Engines Of Creation", nom emprunté au livre de 1986 du scientifique spécialiste des nanotechnologies Eric Drexler, pousse jusqu’au bout la logique technologique avec l’album le plus expérimental de la discographie de Satch.
L’association avec Eric Caudieux semble tendre vers l’exclusive cantonnant la participation d’autres musiciens à la portion congrue. La présence de deux instrumentistes sur la très belle ballade 'Until We Say Goodbye', qui se détache du reste de l’album avec sa métrique impulsée par une vraie section rythmique et sa production signée Kevin Shirley, est presque anecdotique sur cet album dont tout le reste est interprété par Joe et Eric seulement. Et le reste se limite principalement à une guitare pour Joe et des machines pilotées par Eric Caudieux. L’idée de mélanger guitare et musique techno est conceptuellement astucieuse, car la dimension ambient de la musique électronique trouve naturellement un écho dans les compositions célestes de Joe Satriani, et la variété des constructions de celles-ci viennent pallier la répétition des motifs de celle-là. Le résultat est finalement mitigé, le bon côtoyant le moyen.
Globalement les morceaux les moins réussis sont ceux pour lesquels l'équilibre sur lequel on conditionnait a priori la pertinence du jumelage harmonique de l'album n'est pas respecté. Pour 'Devil's Slide' et l'arabisant 'The Power Cosmic 2000-Part2', la guitare se laisse déborder par la machine et essaie de compenser son indigence mélodique par un excès de technique indigeste. Avec 'Attack' ou l'étouffant 'Slow And Easy', c'est l'expérimentation qui asphyxie les quelques bonnes idées. Corollaire logique, quand Satch ne se laisse pas enfermer et qu'il revisite ses inspirations naturelles à la mode techno, le résultat est très intéressant. C'est particulièrement le cas sur le blues-country beckien et déstructuré de 'Champagne' ou dans les titres alliant riffs inspirés, mélodies et boucles programmées comme 'Flavor Crystal 7', 'Borg Sex' ou 'Engines Of Creation'. Les deux ballades abordées de manière assez classique sont elles aussi de beaux moments à la forte charge lyrique ('Until We Say Goodbye' et 'Clouds Race Across The Sky').
Comme toute œuvre avant-gardiste, 'Engines Of Creation' sécrète son lot d'imperfections et de ratés. Par ses innovations et ses tentatives, ce disque demeure atypique dans la discographie de l'Américain et possède un charme particulier qui le rend attachant. Joe Satriani ne poussera pas plus loin l'association guitare-musique électronique et retournera, dès l'album suivant, en terrain connu. Mais cette expérience a laissé des traces chez l'Américain, lui ouvrant de nouvelles perspectives sur la composition de ses musiques.