"Skunkworks", avant d'être le titre d'un album, devait être le nom d'un nouveau groupe. Un groupe formé par Bruce Dickinson et une poignée de jeunes loups pêchés pour la tournée de son précédent et fort apprécié opus "Balls To Picasso".
Si la première réaction des fans est la surprise, voire l'incrédulité, Bruce va profiter de l'aubaine pour se redonner un coup de jeune dans cette vague grunge et rock alternative naissante et donner un grand coup de pied dans la fourmilière de son carcan heavy metal, le teintant de touches modernes et visant des formats plus courts, plus martelés, plus concis.
De ce fait, avec ses 13 titres, "Skunkworks" peut sembler difficile à digérer sur les premières écoutes tant il semble touffu, voire répétitif, et éparpillé. Mais s'il semble aujourd'hui le plus oublié de ses travaux solo, il n'en manque pas pour autant d'intérêt. Plus, il reste un maillon indispensable pour saisir la progression du chanteur légendaire et mieux appréhender les albums à venir.
Ainsi, le classique 'Space Race' avec ses "yes yes" et son refrain chantant, l'excellent hit à l'intro mystique 'Interia' ou le funky 'Inside The Machine' évoquant un récent 'Shoot All The Clowns' sonnent comme du Dickinson pur jus et en pleine possession de ses moyens. Plus loin, des titres comme le massif 'Faith' ou le rageur 'Meltdown', chacun orné d'un solo de guitare (très rares ici), préfigurent l'univers d'un "Accident Of Birth" ou d'un "Chemical Wedding" à venir.
Les up tempi, rares ici, ne seront malheureusement pas les titres les plus inspirés (en dehors de l'implacable 'Headswitch') comme le prouvent le binaire 'Back From The Dead' et la cavalcade en demi-teinte de 'Solar Confinement'. Nous leurs préférerons les expérimentations ambiancées d'un 'Dreamstate' ou 'I Will Not Accept The Truth', dérangeant et riche d'un réel (même si court) passage instrumental, ou encore de ce final lourd et habité, très proche des rives habituelles du chanteur, qu'est ce 'Strange Death In Paradise' lourd en breaks.
A l'image de sa pochette, réalisée par Storm Thorgerson lui-même (Pink Floyd es-tu là ?), et de sa propre confession, Bruce a essayé avec cet album de réunir deux univers, celui de son metal avec celui des Soundgarden, afin de faire se rapprocher deux scènes tout aussi distantes qu'intimement liées. Mais si le projet n'a eu les effets escomptés sur le public, le chanteur regrettera surtout la séparation d'un groupe qui lui avait permis de réaliser une expérience très riche et personnelle.
NB : la version remasterisée double album reste la plus intéressante puisqu'elle contient, en dehors d'une poignée de live qui révèle la puissance et l'alchimie du groupe sur scène, huit titres originaux dont deux très typés Led Zep folk, un autre RHCP et deux délires très personnels dont 'I'm In A Band With an Italian Drummer', petite gâterie à ne manquer sous aucun prétexte.