Certains musiciens sont dingues ! Je pensais que Farmakon était le summum de la folie, mais que nenni, Ressurecturis nous prouve aujourd'hui le contraire. A l'instar des expérimentateurs de tout poil, le contact avec la musique de ce groupe est difficile et détonne par rapport aux produits death courants par un son de guitare thrash et des pistes à la mise en place inhabituelle.
La galette nous propose de suivre la journée "caricaturale" d'un homme moderne. Ce souhait d'englober l'œuvre dans un concept global rappelle "The Man and The Journey" de Pink Floyd, qui proposait également de vivre la journée archétypale - et très british - d'un homme post-moderne. Plus qu'une simple rondelle violente, "Nazienda" est avant tout une critique virulente du système qui à la violence ajoute une grande dose de second degré... ce qui est peut-être la seule manière d'échapper à l'aliénation quotidienne.
Cette journée débute sous les meilleurs auspices, le protagoniste étant assoupi dans les bras de Morphée et de sa moitié ('06:29 Sleeping With Your Hair Spread Over My Chest'), une guitare dépouillée et des lignes vocales suaves célébrant ce cocon duveteux. On sent toutefois monter une angoisse dont le paroxysme sera la sonnerie du réveil qui arrache l'homme à son bien-être : des vibrations enharmoniques, un rythme épileptique et des vocalises criardes traduisent cette agression sonore ('06:30 The Alarm'), puis un rythme industriel nous initie au temps perdu dans les transports. Ensuite la rythmique nous écrase sous une lourdeur stylistique digne de Metallica ou Megadeth, une voix désincarnée commentant ce monde déshumanisé ('07:12 On the Way to Work'). Dans son travail, le (anti-)héro semble subir des journées exaspérantes : '08:01 The Number You Have Dialed' se termine sur une crispation sonore ultime et assène des coups violents à un ego malmené.
Dans sa forme, ce fourre-tout sonore lorgne vers Farmakon ou Faith No More avec des éléments ultra-violents auxquels s'ajoutent des styles inattendus, même si en fin de compte cet avant-gardisme n'est qu'un prétexte pour mettre à mal le monde moderne ('14:16 Col-League-s' ou '10:30 Animals in the Meeting Room'). La violence n'est pas tout, puisque la rondelle saupoudre de-ci de-là quelques moments calmes, '16:59 The Thought That Something Went Wrong With My Life' ou '06:29 Sleeping With Your Hair Spread Over My Chest', qui même si ils sont des aires de repos, laissent planer un énorme malaise et une certaine détestation de la mécanique quotidienne.
"Nazienda" est une galette qui transpire le malaise existentiel, un patchwork à l'image de notre société post-moderne, une musique froide dans laquelle ne surnage aucune humanité. Mais bien que l'on devine de multiples influences logiques et violentes telles que Carcass ou Napalm Death, on ressent avec encore plus de force l'héritage étrange de l'esprit aventureux du Pink Floyd original. Une galette obsédante et attirante.