Dans le livret d' ''Acquiring The Taste'', deuxième album de Gentle Giant, l'auditeur anglophile pouvait lire :
''C'est notre but d'élargir les frontières de la musique populaire contemporaine au risque de devenir impopulaires. [...] Tout ce que vous avez à faire est de vous asseoir et d'acquérir le goût.'' Comment le groupe du bon géant va-t-il pouvoir respecter sa maxime brandie en étendard contre la musique commerciale ?
''Acquiring The Taste'' se situe d'emblée dans le sillage du premier album éponyme. Les atmosphères sont placées sous le signe d'un Moyen-Age sous influence de François Rabelais. Mais contrairement à son modèle et aux clichés du genre, ce Moyen-Age est triste, pluvieux et pourtant propre au changement. 'Pantagruel's Nativity' semble émerger de la brume des temps, porté par le Minimoog de Kerry Minnear, avant que la guitare ne révèle un chemin inattendu. L'atmosphère se fait fantastique sur 'The Moon Is Down', 'Edge Of Twilight' (avec son orgue et ses lointains choeurs hantés) ou encore sur 'The Black Cat', dont la guitare wah-wah épouse les pas feutrés du félin (un comble pour l'ennemi des canidés !). La pluie laisse parfois place à l'orage comme sur 'The House, The Street, The Room' où la guitare électrique fait preuve de puissance hard, ou sur 'Wreck' qui cumule énergie et choeurs volontaires.
Le groupe prend un malin plaisir à dynamiter l'espace d'un instant ses propres structures en s'aventurant dans de longues jams qui mettent en valeur la dextérité des musiciens (solo de vibraphone sur 'Pantagruel's Nativity', de xylophone sur 'Edge Of Twilight') avant de retrouver paradoxalement son point de départ. Le chant se partage toujours entre trois chanteurs principaux, chacun apportant sa spécificité sonore : plus dure, celle de Derek Shulman se distingue sur les morceaux hard 'The House, The Street, The Room' ou 'Wreck', plus douce, celle de Kerry Minnear permet de tempérer la rage de son collègue au sein des mêmes chansons. La voix de Phil, l'aîné des Shulman, crée le malaise en apparaissant plus froide sur 'The Black Cat' et sur 'The Edge Of Twilight'.
Mais ''Acquiring The Taste'' ne possède pas encore la maturité nécessaire pour obéir à sa devise. Le court instrumental éponyme tient de l'anecdote. Quant à 'Plain Truth' , la piste s'éternise autour du solo de violon électrique de Ray Shulman et termine l'album sur une note aigre.
Gentle Giant poursuit ses recherches sonores sur "Acquiring The Taste", nous offrant une orientation onirique dans laquelle des fantômes du passé viennent hanter l'auditeur. Mais le groupe manque parfois de justesse sur certaines pistes, tombant dans les travers de la démonstration sonore, ce qu'il corrigera dès son album suivant.