À l'image du western spaghetti inspiré des westerns américains, le rock progressif italien (RPI) est né de l'enthousiasme débordant d'une patrie peu avare en syncrétisme : Genesis, Pink Floyd ou encore Van Der Graaf Generator feront des sans-faute dans les classements transalpins et feront naître des vocations. Ainsi à Rome, deux frères, Gianni et Vittorio Nocenzi, se lancent dans la compétition et forment l'un des groupes les plus passionnants du RPI : Banco Del Mutuo Soccorso.
À l'instar de Premiata Forneria Marconi (une boulangerie), le groupe se donne pour défi d'imposer un difficile patronyme, inspiré par le nom d'une banque populaire. Selon la légende, Vittorio Nocenzi avait décroché un contrat avec RCA, pourtant peu encline à enregistrer un album instrumental, en prétendant qu'il jouait dans un groupe qui n'existait pas. Stupéfait de la réussite de son imposture, il aurait formé ce groupe de bric et de broc, invitant des amis et des proches. Après quelques essais infructueux, pour enregistrer son premier album, la formation fusionne avec le groupe Le Esperienze, dans lequel figure le chanteur sarde Francesco Di Giacomo, ténor au grand coffre qui sera un des grands atouts du groupe. La tessiture de sa voix est exceptionnelle et son interprétation lui permet aussi bien de narrer avec conviction la violence de la guerre que d'épouser la détresse d'un soldat à la fin des hostilités ('RIP'), ou se faire conteur d'un récit christique et fantastique ('Il Giardino Del Mago').
Malgré la figure imposante du chanteur, les frères Nocenzi ménagent de longs espaces instrumentaux symphoniques déployant pianos, orgues et mellotron, et capables de créer des climats angoissants (la première piste 'Volo' et l'introduction teintée de mystère d' 'Il Giardino Del Mago' hantée par ses chœurs, la vitesse d'exécution de 'Traccia'). Mais les deux frères équilibristes excellent dans les compositions à tiroirs : 'RIP' délaisse la mélodie principale portée par le chant de Francesco Di Giacomo pour ouvrir de nouvelles portes baroques et finalement confluer à nouveau vers le thème principal. 'Metamorfosi' démarre sur des chapeaux de roue avant d'être traversé par un piano lumineux, qui sert d'entremetteur auprès du thème principal, s'intensifiant sans cesse lors de ses nouvelles apparitions, pour conduire à un final cathartique. Et le fleuve 'Il Giardino Del Mago' perd en baroque et en urgence ce qu'il gagne en sensibilité acoustique.
Avec ce premier album éponyme, le groupe fantasmé par Vittorio Nocenzi trouve ses marques, et apporte au rock progressif une originalité vocale couplée à une belle aisance musicale.