Une nouvelle sortie de Omnium Gatherum est un événement à marquer d'un pierre blanche, un jour où il convient de se précipiter chez son disquaire favori pour acquérir l'objet tant convoité, puis l'écouter religieusement, les cheveux battus par le vent et saupoudrés de neige. Car il faut bien entendu déguster chaque note avec dévotion, mais aussi ériger autour de soi une ambiance hivernale propice à l'imprégnation de cette musique glacée.
Le groupe produit depuis plus de dix ans une musique pleine de rage et de mélodie, gorgée de puissance et de douceur, mêlant le froid des contrées antarctiques à la morsure de l'eau brûlante éjaculée des geysers. A ses débuts, le groupe officiait dans un registre death mélodique classique, puis il a évolué vers une mise en place plus personnelle, sa force étant de proposer des albums de qualité constante. Et même si la formation n'a pas révolutionné le genre, elle l'a popularisé et rendu plus accessible. Avec "Grey Heavens", elle nous offre une œuvre ultime, une rondelle époustouflante pleine de qualités et bourrée de sensibilité.
Les musiciens rivalisent d'habileté ici... les guitares se chevauchent, se croisent et se répondent dans des interventions puissantes et des rythmes échevelés. La batterie déconstruit l'espace-temps, écrase les dernières velléités de résistance. Omnium Gatherum aime ralentir le tempo, jouer avec les variations, des rythmes plus lourds ou des mesures ternaires assez rares dans le style. Il se rapproche alors de Insomnium, prenant une distance avec son terreau death, pour une musique au spectre plus large. Le chant a également bien évolué, car si le groupe utilisait principalement le grunt, les parties claires servant surtout d'enluminures, il renverse la tendance ici avec beaucoup de chant mélodique.
Les pistes ont l'agressivité imprimée au fer rouge. Même si l'album semble entamer une progression vers une musique plus grand public, le morceau d'ouverture est hyper-violent : il distille de la double pédale en veux-tu, en voilà, une voix grunt caverneuse et hargneuse, un riff violent et un solo rapide. La voix claire construit un chœur divin, mais paradoxalement c'est le couplet grunt que l'on aimerait fredonner - comme on pouvait le faire sur 'Into Illusion' de Mors Principum Est. La suite ne dépareille pas, même si les compositions semblent peut-être plus sages, la mélodie est toujours là ! 'Frontiers' joue la carte mélodique, le synthétiseur faisant désormais partie intégrante du style avec une mélodie que l'on jurerait issue de la discographie de... Mylène Farmer. 'Majesty and Silence' est d'une douceur sucrée, presque une ballade introduite par une très belle guitare claire. Peut-être que le groupe y entame un virage insomnien, car les évolutions rappellent ‘The Elder’. Enfin, 'Ophidian Sunrise' synthétise toutes les données musicales du groupe : au milieu de la violence surnage une réelle beauté immanente, puis le final aux harmonies belles et émouvantes rappelle beaucoup la mise en place de 'In The Groves of Death'.
"Grey Heavens" est une réussite totale, ainsi qu'une des plus belles galettes de la formation dans laquelle puissance et violence copulent avec délectation sur des mélodies imparables. Tout est donc parfait sur ce bout de plastique : interprétation époustouflante, mélodies poignantes qui font que jamais l'on ne décroche du déluge de plomb enrobé de velours. Le groupe gagne ici en sensibilité et en émotion ... on le savait déjà capable de livrer des disques de grande qualité, avec
cet opus il franchit la limite qui le mène vers le chef-d'œuvre incontesté.