Voulu à l'origine comme un projet solo de son leader Kavus Torabi, étoile montante du progressif remarqué notamment dans la toute dernière émanation de Gong, le groupe Knifeworld sort en ce printemps 2016 son troisième album, "Bottled out of Eden", succédant au remarqué et remarquable "The Unravelling".
L'une des particularités de Knifeworld réside dans la palette d'instruments utilisés, avec la présence plutôt inédite d'une section de bois, intégrant un basson (!) outre les habituels saxophones, le tout donnant une couleur toute particulière aux chorus jazzy qui émaillent les différentes compositions de l'album. Celui-ci est en effet un joyeux mélange des genres, propre à ravir le fan de rock progressif dans son acception la plus large.
Les deux premières plages, rythmées, sont basées sur des thèmes répétitifs délivrés par des voix masculines et féminines mêlées, avec de forts accents psychédéliques. Si le fond du propos ne flirte pas avec la zeuhl, la forme des vocaux se rapproche dans l'esprit de celle développée par Magma, avec une sorte de précipitation contenue apportant au fil des mesures une tension palpable. Celle-ci culminera d'ailleurs un peu plus loin sur 'The Deathless', morceau au titre évoquant directement le sujet principal de cette production, voulu comme une réflexion autour du passage de chacun sur cette planète, et de l'absence qui en résulte après sa mort.
Loin de se cantonner à cette mise en bouche enthousiasmante, Knifeworld va quelque peu complexifier son propos par la suite, en jouant sur des rythmiques impaires ('I Am Lost'), des dissonances sur les voix doublées ou entre les voix et l'instrumentation, et surtout adopter une couleur beaucoup plus sombre à grand renfort de basse. Impossible alors de ne pas évoquer King Crimson à l'écoute du puissant et torturé 'I Must Set Fire to Your Portrait'. Pourtant, comme pour ménager les âmes les plus sensibles, Kavus Torabi revient régulièrement dans des contrées plus mélodiques et plus accessibles, avec en guise de point d'orgue un petit bijou tout en délicatesse ('Secret Words'), dont le final instrumental ponctué de notes cristallines de vibraphone aurait mérité des développements plus conséquents.
Proposant une musique protéiforme, tour à tour très accessible puis plutôt complexe, "Bottled out of Eden" pêche quelque peu par manque de fignolage sur certains aspects vocaux (la voix masculine seule), ainsi que par une production que je trouve un peu brouillonne, manquant de clarté. Il n'en reste pas moins un album varié, interprété par des musiciens de haut vol, dont l'originalité garantira de multiples écoutes.