Si Nine Inch Nails est le terrain de jeu de Trent Reznor, Richard Patrick, l'ancien guitariste de ce même groupe, a également son jardin secret : Filter, fondé avec Brian Liesegang en 1993, les deux hommes poursuivant sur les pentes sinueuses du metal industriel. Si la pochette accroche l'œil, et c'est le cas de le dire, ce sixième album ne sera-t-il qu'une affaire de routine pour un groupe déjà bien rodé ?
La routine, Richard Patrick la méprise. Alors que le précédent album était réalisé en duo, il engage à chaque poste un nouveau musicien pour former une équipe plus soudée. Avec eux, Filter va entamer un retour aux sources dont les modèles seront le premier album de Nine Inch Nails ''The Pretty Hate Machine'' et le premier album de Filter ''Short Bus'' (évoqué par le titre de la chanson 'Kid Blue From The Short Bus, Drunk Bunk'). 'Tremors' avec sa batterie tribale , ses volutes de synthétiseur, son chant éraillé, 'Mother E', avec son monologue explosif sous les poussées de basse, ou encore 'Nothing In My Hands' retrouvent la rage et la frustration, la vitesse et l'énergie d'antan.
Pour autant, il ne s'agit pas d'une régression et Richard Patrick l'a annoncé lui-même : il voulait ''plus d'expérimentation, plus de folie, plus de moments étranges plutôt que de refaire tout le temps ce son de guitare bourrin.'' Quand 'Head Of Fire' déploie ses boucles sinueuses jusqu'à saturation, 'Your Bullets' lui répond avec un pont instrumental bidouillé par les machines et s'aventure parfois du côté de chez Killing Joke jusqu'au crescendo final. 'Under The Tongue' se présente comme un voyage gratuit dans un train fantôme lancé à une vitesse volontairement modérée, alors que naguère le groupe aurait brûlé tous ses pétards dès l'introduction. Le titre peut se lire comme une catharsis, une extériorisation de toutes les frustrations intérieures éjectées par la voie des yeux (d'où le titre de l'album ?), qui auraient perdu leur fonction passive. Le disque se termine par la deuxième partie de 'Head Of Fire', beauté crépusculaire jouée à la guitare acoustique.
Avec ce septième album, Filter se ressource en se tournant vers son passé, rappelant les grandes heures du metal industriel. Mais loin de se contenter de s'auto-contempler, le groupe se remet en question et pénètre dans l'antre de la folie avec des compositions où les ambiances se font plus étranges et moins explosives.