Après avoir mis fin au chaos gothique de son précédent groupe The Birthday Party, Nick Cave embarque avec lui son fidèle lieutenant-batteur Mick Harvey vers d´autres horizons. Les deux récoltent des Mauvaises Graines (Bad Seeds) sur leur chemin (en référence au précédent album) : deux guitaristes, Hugo Race et le taciturne guitariste allemand Blixa Bargeld (fondateur d´Einstürzende Neubauten), et le multi-instrumentiste anglais Barry Adamson (ex-Magazine). Après avoir tourné sous le délicieux nom de Nick Cave and the Cavemen, ils recueillent le fruit de leur labeur sur un premier album, "From Her To Eternity", enregistré à Londres.
Si le titre fait référence au film de Fred Zinnemann "Tant qu´il y aura des hommes" (en V.O. : "From Here To Eternity"), l'auditeur sera surpris de ne pas trouver la chaleur de sa célèbre scène de baiser sur la plage. L´ambiance de ce premier essai ne saurait être que glaciale. Nick Cave ne prend pas la peine d´enfiler des gants et le choix d´une reprise de Leonard Cohen pour ouvrir l´album n´est pas le fruit du hasard. La bien nommée ´Avalanche´ devient un maelström de désespoir, teinté de rage. Nick Cave y incarne à merveille son premier paria de la société, d´une façon si convaincante que l´original risque de passer pour une chanson d´anniversaire. Les guitares et la section rythmique se font tranchantes, peu regardantes sur la nature de ce qui est découpé, tandis que le piano est capable de faire ressentir sa présence fantomatique (sur ´Cabin Fever !´, le piano sinistre se fait maître de cérémonie funèbre). Les compositions préfèrent miser sur un thème général qui tournoie autour de l´auditeur jusqu´à ce que folie s´ensuive (´Well Of Misery´, ´From Her To Eternity´, ´Wings Of Flies´) tout en accélérant et en ralentissant la tension (´Cabin Fever !`, ´Saint Huck´). La seule éclaircie se présentera avec la reprise d´Elvis Presley ´In The Ghetto´, plus lumineuse et moins chargée que l´original. La chanson servira de palimpseste pour Nick Cave qui n´hésitera pas à s´en servir dès l´album suivant.
Le chant de Nick Cave est moins guttural que dans The Birthday Party. A travers des textes riches et truffés de références bibliques ou littéraires, ce dernier réalise le fantasme d´Antonin Artaud de jouer sa vie sur la scène. Chez Nick Cave, l´amour ne peut être évoqué sans sa sœur de misère, la folie, conduisant à la souffrance comme sur ´Wings Of Flies´ où un amoureux éconduit effeuille les ailes des mouches comme il le ferait d´une marguerite. Sur le titre éponyme co-écrit par Anita Lane, le narrateur est torturé par le désespoir de sa voisine de la chambre 29. Les pas tourmentés de cette dernière se métamorphosent en cette unique note de piano répétée ad nauseam, précipitant le déséquilibre nerveux du témoin, symbolisé par les stridences fulgurantes de guitare électrique. Pourtant cet album fauche légèrement ses racines pour se greffer sur un blues poisseux, plus intimiste comme l´épique 'A Box For Black Paul', 'Well Of Misery', blues conjugué avec un macabre chant de marins, au son d´une basse lourde, d´un harmonica funèbre, d´un chœur spectral, et des percussions ressemblant à des coups de fouet, ou avec la complainte 'The Moon Is In Gutter' où Nick joue au crooner de trottoir.
Nick Cave And The Bad Seeds tourne le dos à ses origines pour livrer une première fleur noire. La chanson éponyme connaîtra son heure de gloire en figurant dans le film de Wim Wenders, "Les Ailes Du Désir". Un album à écouter au fond du gouffre pour retrouver sa légèreté d´antan.