Les géants aussi ont commencé petit. Ministry, fleuron du metal industriel et futur amateur de "succion d´œufs", si l'on en croit le titre de son premier album à succès en 1990, est redevable à son leader Al Jourgensen. Ce dernier, né à La Havane sous le nom d´Alejandro Ramirez Casas, s´est d´abord échauffé derrière les platines, avant de rejoindre le front avec Special Effect, un groupe de new wave. Désireux de développer son propre projet, il quitte le groupe en 1981 pour fonder Ministry avec le batteur Stephen George. A un premier simple "Cold Wave" chez Wax Tracks Records succède un album produit par la légendaire Arista en 1983 : "With Sympathy" (sorti en Europe sous le titre ''Work Of Love''). Faut-il être indulgent avec ce premier galop d'essai dont même Al Jourgensen refuse de parler et dont il déclare, avec sa verve légendaire, qu´il aurait détruit les masters (pourtant ces derniers ont refait surface en 2012) ?
"With Sympathy" est aux antipodes du style violent et âpre que développera plus tard Ministry. Al Jourgensen avait une expérience new wave et a voulu rendre hommage à ce qu´il aimait écouter, en particulier la nouvelle vague romantique anglaise synthpop. Synthétiseurs en avant, voix tantôt graves, tantôt implorantes, cet album est une carte postale des années 80. Une époque créative tout autant qu´expérimentale, mais où la production de masse de prototypes clonés donne l´impression d´écouter le même morceau. 'I Wanted To Tell Her' avec la basse funky de Martin Sorenson et la participation vocale de Shay Jones sur un passage quasi rappé, 'What He Says', proche du Depeche Mode période "A Broken Frame", 'She´s Got Cause' proche d´Orchestral Manoeuvres In The Dark, ou 'Effigy (I´m Not)' avec son synthétiseur écrasant prennent des options sautillantes mais se perdent dans des boucles synthétiques.
Mais il ne faudrait pas jeter le bambin avec l´eau de son bain ! Certains morceaux révèlent des richesses dissimulées. 'Say You´re Sorry' avec ses interventions de saxophone et une introduction menaçante en fait partie. Mais il faut attendre ´Revenge´, avec la ritournelle alarmiste de son introduction, son chant poisseux et minimaliste (des paroles sont parfois répétées ad nauseam), les chœurs célestes de Marybeth O´Hara et un refrain fédérateur pour trouver un premier succès, qu´on pourrait penser être un foetus abandonné par Heaven 17. 'Work For Love', avec un break nocturne à coups de percussions, brise la linéarité et nous plonge directement dans la chaleur de la nuit auprès d´un Iggy Pop de la grande époque. On trouve également 'Here We Go', plus proche de Killing Joke voire de Kraftwerk avec son rythme martial ou robotique, qui augure la suite de la carrière de Ministry.
Première pierre de l´édifice de Ministry, objet de honte en son temps pour son géniteur, "With Sympathy" se laisse écouter avec beaucoup d´indulgence et sert de porte d´entrée à ceux qui n´ont pas vécu les 80´s, mais pour découvrir Ministry, préférez la suite.