Malgré un "Every Turn Of The World" (1985) plus varié et dynamique, et un "Back Of My Mind" (1988) revenant à une douceur suave et généralisée, rien ne semble pouvoir entraver la dégringolade de popularité de Christopher Cross. Celui qui avait démarré sa carrière solo sur les chapeaux de roues avec son premier album éponyme (1979) et sa multitude de tubes et de récompenses, voit les ventes de ses albums chuter sortie après sortie. En ajoutant à cela des problèmes d'ordre privé, il n'y a pas grand monde pour parier sur ce "Rendezvous", nouvel album à la pochette ornée d'une belle aquarelle.
Pourtant, s'il ne rencontrera pas plus de succès que ses prédécesseurs, cet opus reste encore aujourd'hui considéré comme l'une de ses meilleures offrandes discographiques. Sans révolutionner son style, Christopher Cross offre une œuvre à la fois variée et intime. Produit et composé avec Rob Meurer, "Rendezvous" voit l'artiste se livrer et mettre ses sentiments en paroles. Que cela soit au travers de l'émouvante et délicate ballade 'Is There Something' traitant d'un amour blessé et sincère, ou du dynamique 'Nothing Will Change' regardant le monde de manière désabusée, Christopher Cross ne se cache pas derrière des mots creux. Le "I smell the blood of..." récité de manière martiale en alternance avec le refrain sur le final de 'Nothing Will Change' vient d'ailleurs appuyer le côté sombre de ce titre.
Toujours épaulé par de nombreuses pointures parmi lesquelles nous noterons une des dernières prestations de Jeff Porcaro (Toto), le Texan alterne les tempi au service de sujets variés. Sa vie sentimentale est ainsi traitée avec délicatesse sur le titre éponyme, comme elle peut se traduire par une déclaration enflammée sur l'énergique 'Night Across The World', ou faire l'objet d'une ambiance ensoleillée sur 'Isn't It Love ?'. Mais Christopher Cross ne s'enferme pas pour autant dans sa bulle et offre également son regard sur le monde qui l'entoure. La difficulté de s'intégrer dans la société est abordée avec une mélancolique délicatesse sur 'Angry Young Men', alors que la fragilité du bonheur voit l'espoir l'emporter petit à petit sur un 'In The Blink Of An Eye' au refrain obsédant. L'ensemble prend fin sur un enchaînement voyant l'esprit de l'auditeur s'abandonner sur un 'Driftin' Away' aux claviers un brin surannés mais envoûtants, avant que la reposante ballade 'A Fisherman's Tale' l'emmène au fil de l'eau avec sa jolie flûte.
Parfait équilibre entre douceur et énergie, ainsi qu'entre vie sentimentale et analyse de problèmes sociétaux, cet album possède tous les éléments pour permettre à son auteur de retrouver un public conséquent à la dimension de son talent. Malheureusement, la pop westcoast n'était pas à la mode à l'époque de sa sortie et l'artiste ne bénéficiait plus d'une reconnaissance suffisante pour intéresser les médias. Il n'est cependant pas trop tard pour redonner sa chance à ce "Rendezvous" qui, s'il fut manqué avec le succès commercial, peut encore se réaliser avec les amateurs de mélodies finement ciselées.